Chapitre III

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A quoi bon porter une couronne si l'on ne s'en croit pas digne ?

Le miroir me renvoie une image, mais est-ce seulement la mienne ? Le gris habituellement métallique de mes yeux se rapproche désormais du noir charbon. Vides. Éteints. Lisse. Mat. La lumière ne fait qu'en éclairer la douleur, sans la soulager. Si les yeux sont "les miroirs de l'âme", mon âme a disparu. Il n'y a plus rien, si ce n'est l'infime tâche blanche, éclat d'espoir, au centre de l'iris.

J'aimerais dire qu'après toutes ces années de rejet, je m'y suis habituée. La vérité est toute autre. S'y habitue-t-on réellement ? Mon coeur, que je pensais mort, continue d'être broyé dès qu'un regard se pose sur moi. Parce que je sais ce que les gens voient en moi.

Une abomination. Un monstre. Un raté. Un déchet. J'aimerais hurler ma douleur, faire comprendre au monde que personne ne me déteste plus que moi, mais je dois conserver les apparences. Jouer la femme intouchable, impénétrable. Ne pas les laisser gagner. Être plus qu'un pion dans un jeu que je ne comprends même pas. Quelles en sont les règles ? On attend de moi bien plus que je ne peux donner.

Et là, ce matin dans le miroir, je me découvre telle que je suis réellement. Éteinte. Vide. Lisse. Matée par une couronne et un semblant de pouvoir. Ils sont loin, les jours où je ne me préoccupais que de moi-même et de mes intérêts. Désormais, chaque décision que je prends affecte des milliards d'êtres humains.

Mes cheveux blonds retombent mollement sur mes épaules, tels des baguettes de tambour. Seules les pointes, d'un rose chatoyant, donne une notion de gaieté. Comme demandé par la coutume, je dois porter le "costume mortuaire" pendant une semaine. Ce qui signifie porter des vêtements noirs et classiques pendant une semaine. Et sur moi, la jolie robe en dentelle doublée de coton noir, aux épaules dénudées, à un rendu tout simplement enfantin.

Je soupçonne le Conseil d'être derrière cela, mais je ne peux pas les blâmer dès que quelque chose va de travers. La vérité, c'est que je ne veux pas respecter cette partie de la coutume. Être rappelée, tous les jours, que mon père n'est plus est une douleur supplémentaire. Peut-être devrais-je commencer à les numéroter, pour ne pas perdre le compte ?

Après un dernier regard dans le miroir, je quitte la spacieuse salle de bain pour retrouver ma chambre qui, heureusement, n'a pas changé. Mon lit double entouré de bois, sur lequel sont gravés des mots en gaélique, est recouvert de draps bleu marine. Un peu de couleur, bien que ça ne soit pas les plus gaies. Je passe un doigt, pensive, sur les gravures. J'avais à peine six siècles quand mon père et moi avons décidé de "décorer" l'armature du lit. Je me souviens encore de son sourire radieux quand j'avais accepté de laisser mon épée pour prendre un couteau de sculpture. Mon premier mot est inscrit au centre de la tête de lit. Athair. Père.Parce que pour moi, c'était le seul mot qui avait de l'importance à mes yeux. Et même ça, j'ai réussi à le perdre. 

— Votre Altesse ?

La voix craintive de Breugan me sort de ma torpeur et je lui souris un peu tristement. Lui aussi, porte le noir. Un simple costume, cravate inclue, mais qui lui donne tout de même un air de patron d'entreprise.Ses yeux couleurs sangs sont même mis en valeur grâce à une doublure rouge dans la veste du costume. Je me redresse, me demandant encore ce que le Conseil m'a préparé pour aujourd'hui. C'est ma première journée en tant que chef de l'Enfer et je ne tiens pas vraiment à ce que l'on me mette des bâtons dans les roues. 

Je cligne une fois des yeux pour sortir définitivement de ma rêverie. C'est un luxe que je ne peux garder que pour mes nuits désormais, si tant est que j'en ai. Rapidement, je laisse place à mon masque habituel : mes yeux ne laissent apercevoir que de l'impassibilité, aucune expression faciale n'est présente sur mon visage et d'un geste souple, j'attaque mes cheveux en chignon strict. Puis, d'un geste déjà las, j'appose la couronne sur ma tête. Elle est lourde, mais elle rend le tout plus adulte. A peine posée, elle prend d'une jolie couleur flamme qui met en valeur mes yeux, devenus rouges. 

Les Chroniques d'Idan (tome 2) : La Première ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant