Chapitre XXVII

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Incapable de tenir face aux cris de douleur s'élevant dans la chambre voisine, j'ai décidé de quitter la maison. Ironique, de me voir plier face aux cris de Thomas, alors que j'ai supporté des millénaires durant les cris suppliants des âmes des Enfers. 

Et quelque part, cette ironie morbide me sert le cœur. Ce n'est pas pareil, tente de se convaincre ma petite voix intérieure. C'est différent, parce que Thomas n'a pas mérité tout cela, répète-t-elle un petit peu plus fort, comme si ça allait me convaincre. 

Je sais qu'elle a raison, ma conscience. La différence, c'est que j'ai toujours vu Thomas comme une âme pure, le genre d'âme que je n'avais jamais croisé auparavant. C'est aussi pour cela que j'ai eu du mal à l'apprécier et que je continue à l'éloigner de moi. Je n'ai aucune envie d'entacher sa pureté avec mes démons. Et pourtant, malgré mes meilleurs efforts, il continue de m'apprécier.

Ce n'est pas une complainte, mais pourquoi est-ce que toutes les personnes que je croise voie en moi quelque chose de pure et de bon ? Il n'y a plus rien qui puisse suggérer ce genre de conclusion. 

J'ai grandi en Enfer, où vivent des âmes corrompues, des esprits brisés et des cœurs en poussière. Ma propre mère a fait de moi une machine de guerre, prête à tuer pour n'importe quoi, tandis qu'un père passif assistait à tout cela sans rien entreprendre pour m'en sortir. 

Et lorsqu'il l'a finalement fait, c'était pour me confier à un autre peuple de guerrières sanguinaires. Il n'y a pas eu, pas une fois dans ma vie, un instant de pureté ou de bonheur. 

Quelques moments volés avec une preuve d'affection, oui, peut-être. Mais jamais rien de plus. Alors qu'est-ce qui pousse les gens à me voir comme un modèle ? Qu'est-ce qui me rend appréciable, aux yeux de personnes aussi différentes ?

Je lève les yeux vers la cime des arbres. Assise dans l'herbe légèrement mouillée par la rosée, je contemple le bout de ciel que je vois à travers les feuilles des arbres. En ce beau début de mois de mai, il n'y a aucun nuage en vue. 

Seulement l'immensité bleue qui me fait penser à l'océan qui entoure l'île. Dans mon dos, mes ailes se laissent caresser par la légère brise, faisant bouger mes plumes dans un doux bruit familier. 

Depuis qu'elles me sont revenues, je n'ai pas eu un instant pour le célébrer, ni même essayer de comprendre comment cela s'était produit. C'est comme si j'avais débloqué quelque chose en moi, une sorte de force que je ne pensais pas avoir. 

Doucement, ma main vient se poser sur mon aile gauche, que j'étends sur le côté. Mes doigts effleurent mes plumes et un sentiment de bien-être m'envahit. Bien que marcher m'ait fait du bien, cela ne sera jamais comparable à la sensation de pouvoir voler. Un sourire vient prendre place sur mon visage, étirant mes muscles faciaux.

Pour moi, récupérer mes ailes, c'est être à nouveau plus proche de mon père. Nos quelques moments d'affections me suffisent pour l'aimer et le respecter, que ce soit en tant que roi ou que père. 

Et même si je ne me sens pas forcément capable d'égaler ses compétences, je pense que je peux réussir à régner tout de même. Entourée des bonnes personnes, prenant –pour une fois- les bonnes décisions, je peux... 

Un bref rire me secoue et je replie mon aile dans mon dos, réunissant mes mains pour les poser sur mes genoux. A qui est-ce que j'essaye de mentir, surtout aussi mal ? A moi-même, ou à l'infime partie de moi qui pense réussir à être Reine, un jour ? Je secoue la tête, toujours secouée de ce léger rire cynique.

— N'importe quoi, je murmure pour moi-même.

Si je ne pense pas faire une bonne Reine, ce n'est pas parce que je doute de moi, ou de mes capacités. C'est simplement parce que je n'en ai aucune envie. Et je l'ai réalisé lorsque mon chemin a croisé celui de Gregory. 

Les Chroniques d'Idan (tome 2) : La Première ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant