Chapitre XII

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Dans notre dos, le soleil amorce sa montée au-dessus les flots. Habituellement, je serais restée pour observer l'astre sombre au-delà de l'horizon. Mais pas aujourd'hui. Trois longues heures de marche, fin Février, sous la fraîcheur normande.

Voilà ce qui nous attend, Thomas, T'Shael et moi. Rejoindre la gare de Caen est un trajet plus long que prévu, surtout lorsque l'on doit enjamber de temps à autre des corps allongés sur le sol, immobile à jamais. Le Néant est passé, ravageant citoyens et animaux. 

Plus aucun bruit ne se fait entendre, hormis nos chaussures frappant régulièrement le bitume des routes. Aucun risque de croiser une quelconque voiture désormais. Je ne m'attarde pas sur les corps jonchant les routes. Une "chance", si je peux le dire, que la plupart soit dans leurs maisons, cachés.

C'est assez difficile de croiser des chats ou des chiens allongés sur le bord de la route. Je frissonne, déployant mes ailes pour me réchauffer. La température est tombée, bien plus bas que dans mes souvenirs. Ou est-ce l'habitude d'être sur Idan où le climat est tempéré ? Enfin...

Sauf quand il plaît à ma tante de modifier le climat et d'instaurer l'hiver, afin que les plus jeunes puissent faire de la luge ou du patin à glace. Je préfère l'Enfer sur ce point, où toute trace de neige est exclue. Dans tous les cas, la fraîcheur hivernale de Ouistreham rentre sous ma peau. Un grognement de douleur suivit d'un juron se fait entendre derrière moi. 

Goguenarde, je me retourne pour regarder Thomas se redresser tandis que T'Shael essuie quelques flocons de neige restés accrochés à son pelage. Faisant deux pas en arrière, je récupère le Brownie gelé et le glisse dans la poche ventrale de mon sweat, enfilé dix minutes auparavant. Les yeux bleus de la créature me remercient et je pose ma main sur son pelage. Il est vraiment froid...

— Besoin d'une pause ?, ironisé-je, en regardant Thomas chasser d'un coup de pied rageur le pauvre caillou responsable de sa chute.

Ce dernier finit par me regarder et dans ses yeux bleus, devenus très foncés, je peux lire de la colère. J'aurai pu me moquer, en accusant le caillou d'être responsable de cette fureur soudaine. Mais l'environnement qui nous entoure ne laisse aucun doute à ce propos.

Bientôt, nous serons sur l'autoroute, entourés par des voitures abandonnées, peuplées de cadavres. Sa fureur, c'est celle de l'impuissance. Ne rien pouvoir faire, condamné à voir des corps jusqu'à ce qu'on trouve un moyen d'atteindre Paris. 

Je pourrais nous épargner tout cela, en nous téléportant directement dans la capitale, passant par l'Enfer. Mais si je le fais, le Conseil saura où je suis et je les pense capable de venir me retrouver pour me "juger" sur place.

Et en ce moment, je n'ai aucune envie d'entendre une bande de vieillards jubiler en se moquant de ma capacité à régner. Je ne suis pas faite pour ça et j'en suis conscience, mais je refuse de l'entendre de leurs bouches.

— Non. Plus vite nous retrouvons Sam', plus vite je pourrais rentrer et essayer de me soigner, lâche le jeune homme.

Un rapide coup d'œil sur ses poings serrés me fait comprendre qu'une lutte interne est en train de se dérouler dans son crâne. Lorsqu'il arrive à mon niveau, je reprends un rythme de marche assez rapide, suivie de Thomas. T'Shael s'est enroulé dans ma poche ventrale et ne dit rien, bien que je puisse aisément ressentir son trouble. 

Il a peur pour son maître et il est loin d'être le seul. Savoir qu'à tout moment, le jeune Oracle peut se retourner contre moi et essayer de me tuer n'a rien de rassurant. D'autant plus que quand nous retrouverons Samantha, il faudra tout lui expliquer...et prier pour qu'un autre Thomas ne fasse pas surface avant.

Les Chroniques d'Idan (tome 2) : La Première ReineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant