Il est vivant. Assise à même le sol dans une pièce à part, j'essaye de contenir mes émotions du mieux que je peux. Je ne parviens pas à me concentrer, mon cerveau étant assailli d'images toutes les secondes.
Partagée entre joie, incompréhension, colère et déception, je ne parviens pas à faire le vide et récupérer mon masque habituel. Il a suffi qu'il prononce un prénom.
Un simple prénom ! Et mon cœur, mon cerveau, mon masque, tout a implosé. Je tourne la tête et mes iris grisâtres se posent sur la porte qui me sépare de lui. Je retiens mon souffle.
Pourquoi est-ce que je ne parviens pas à être pleinement heureuse ? Pourquoi est-ce que je ressens aussi cette sourde colère qui me broie le cœur et m'oppresse la gorge, manquant de me faire suffoquer ? Pourquoi n'est-il pas venu me voir, s'il était en vie ?
Dans mon dos, j'entends le grincement significatif de la porte qui indique que quelqu'un est entré. Gardant le silence, il m'observe. Moi, je me concentre sur les murs de bois craquelé qui compose cette cahute de fortune.
Il s'agit d'un éco-hameau près de Riva Bella, ou Ouistreham, ville dans laquelle nous sommes à présent. Je n'arrive pas à me concentrer sur les multiples fissures tant je sens mon cœur se gonfler jusqu'à ce qu'une larme traverse ma joue.
Le masque que je m'étais habituée à porter vient de voler en éclat. J'entends un frottement, puis le sol qui se complait du poids qui s'avance dans ma direction. Je me lève d'un seul coup, arrêtant net les frottements et la plainte des lattes de parquet.
Je ne suis pas prête à discuter. Je ne me sens pas capable de le regarder dans les yeux et d'argumenter avec cet homme.
— Est-ce que tu peux me regarder au moins ? S'il te plaît, demande Lucifer.
Je me tourne vers lui après un bref soupir. Nos yeux se croisent et s'affrontent dans un duel mêlant soulagement et colère.
J'aimerai qu'il comprenne que sa mort m'a affecté bien plus gravement que ce qu'il semble croire. Je voudrais qu'il m'explique pourquoi il n'est pas venu me voir dès qu'il s'est réveillé.
Ne suis-je pas sa fille ? Sa seule descendante ? Sa famille ? Je baisse les yeux, incapable de supporter plus longtemps la bienveillance de son regard.
— Je veux comprendre, murmuré-je.
Je l'entends soupirer à son tour, alors je relève discrètement les yeux pour l'observer. L'une de ses mains passe dans ses cheveux blonds, emmêlant sa tignasse.
Son regard est désormais porté sur la fenêtre, par laquelle on ne peut rien observer, puisque plus rien de vivant ne bougera désormais.
Dès que sa tête se tourne dans ma direction, mes iris se dirigent vers les siennes, afin d'appuyer ma demande d'un regard perdu. S'il te plaît papa. Explique-moi. J'ai besoin de comprendre !
— Moi aussi mon ange. Je ne sais pas pourquoi mon père m'a permis de revenir, réponds-t-il.
Je hoche la tête distraitement. Il évite de me répondre. Pourquoi ? Cette manière de répondre à côté de la question, afin de dévier le sujet de conversation, c'est lui qui me l'a enseigné.
Comme presque tout le reste. Mais la lueur dans son regard, je la connais aussi. Il a eu la même lorsque je lui ai demandé, bien des millénaires auparavant, pourquoi il ne m'avait pas défendu face à Dame Madera.
Quand je l'avais supplié de m'expliquer pourquoi il m'avait envoyé chez les Amazones au lieu de m'aider à faire face à cette femme.
— Ce n'est pas ce que je t'ai demandé papa, j'insiste.
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Les Chroniques d'Idan (tome 2) : La Première Reine
Fantasy(À lire après "LA Dernière Banshee" pour éviter tout risque de spoilers !). Montée sur le trône des Enfers après la disparition de son père Lucifer, Aoile tente tant bien que mal de gagner le respect de ses sujets dans un contexte presque apocalypt...