Le chant du silence
La nuit commençait à tomber sur le village, pâle, froide, silencieuse et triste. Paresseuse, elle croissait avec lenteur dans le ciel au dépend du soleil qui, faible astre à la force déclinante au fil des minutes, dardait ses rayons lumineux et chaleureux pour la dernière fois en ce jour, dans un ultime adieu silencieux aux êtres vivants qui lui tournaient le dos sans lui adresser le moindre regard, la moindre attention. Au-dehors, on commençait à rentrer ce que l'on n'était pas sûr de retrouver le lendemain. Les enfants qui avaient joué toute l'après-midi ensemble courraient à présent pour rentrer chez eux, de crainte de se découvrir enfermés dehors à la merci de tout et surtout de la nuit.
On s'échangeait également des regards respectueux mais teintés de méfiance par en-dessous, un salut presque dénué de sens à l'approche de la nuit mais toutefois nécessaire pour se rassurer. On avait beau s'entraider sans problème la journée, on devenait très vite suspicieux envers ses voisins la nuit tombée. Pouvait-on réellement avoir confiance en quelqu'un ?
L'air aussi se rafraîchissait progressivement... Le village paraissait mourir dans un dernier soupir, comme expirant les dernières âmes qu'il contenait. Un chat famélique disparut au détour d'une ruelle, non sans avoir au préalable feulé et jeté un regard d'un jaune brillant, inhumain et craintif derrière lui. Que craignait-il donc, lui ?
Dimena attendait en silence sous la petite terrasse couverte de sa maison, les mains jointes devant elle dans une prière silencieuse, le regard troublé et fixé en direction de l'horizon, sur la fine route de terre qui quittait le village – ou y arrivait, selon le point de vue que l'on adoptait. Le plafond de bois grinçait sans raison apparente au-dessus d'elle, humide et quelque peu moisi par les années et les pluies saisonnières. Doran prétendait chaque année qu'il s'écroulerait, cependant il tenait toujours le coup depuis le temps, fermement ancré sur ses poutres non moins solides, si bien qu'au final on n'y croyait plus, et qu'on n'y prêtait plus attention.
Le bruit était même devenu familier, recherché et apaisant.
Cependant, en dépit de sa familiarité, son bruit n'était cette fois-là pas suffisamment apaisant pour annihiler les craintes de la jeune fille, qui augmentaient en proportion du nombre d'heures qui s'écoulait. Chaque minute renforçait sa peur et chaque seconde la tiraillait avec force, dotée d'une satisfaction malsaine et d'un goût prononcé pour la torture mentale. Chaque seconde paraissait être un énième coup de poignard dans le dos, et chaque nouveau souffle expiré un que son frère ou sa sœur n'aurait peut-être pas l'occasion de lâcher.
Ses parents n'étaient pas encore rentrés, ni ses aînés. A vrai dire, personne ne l'était. Seule Dimena errait dans la maison, telle un fantôme qui hanterait une demeure qu'il ne voulait pas quitter. E que diraient Luthan et Morna, lorsqu'ils verraient que Doran et Assylana n'étaient pas là ? Surtout Doran...
Oh, bien sûr qu'ils savaient où se trouvait Assylana, même s'ils s'efforçaient tant bien que mal de fermer les yeux là-dessus. Luthan et Morna avaient été franchement contre la pratique du braconnage sur le territoire elfique à une époque, mais en voyant que cela s'était avéré nécessaire – indispensable aurait même été le mot juste –, ils avaient fait silence et tolérer les escapades de leur fille aînée. Sans réellement l'encourager, ils ne cherchaient plus à la retenir, ne lui imposaient plus de couvre-feu.
Mais ce qu'ils ignoraient, c'est que leur fils avait cette fois-ci décidé d'accompagner son aînée.
Tant de gens savaient où se trouvait Assylana (et accessoirement Doran), mais parce que cela leur était également profitable et égal, ils n'agissaient pas, n'en parlaient jamais, pas même entre eux. Tout le monde se taisait ou prétendait ne pas savoir, comme si le fait de ponctuer leur mensonge d'un banal haussement d'épaule bien travaillé et constamment répété suffirait à tromper la réalité. A quoi bon démentir une vérité ou même tout simplement l'évoquer quand tout le monde la connaissait déjà ? La défiance régnait partout au sein du village, censurant des sujets qu'il valait même mieux ne jamais évoqué...
Mais ce n'était pas normal qu'ils prennent autant de temps à regagner la maison. Jamais Assylana n'était rentrée aussi tard il faisait toujours plus ou moins jours lorsqu'elle regagnait la maison. Quelque chose de grave avait dû leur arriver, mais comment savoir, seule ici et à l'écart de tout ? La jeune fille soupira, s'efforçant tant bien que mal de prendre son mal en patience. Patience qu'on disait d'ailleurs mère de toutes les vertus, mais jusqu'à quel point ? En outre, on lui reprochait souvent d'être anxieuse et tendue à l'excès Dimena ne s'inquiétait peut-être que pour des broutilles.
Peut-être Assylana avait-elle abattu un daim lors de sa chasse, et Doran l'aidait à le ramener. Certes, cela était peu probable, mais pas impossible pour peu qu'on ait de la chance et de l'habileté. La benjamine Castelbois se rongeait les ongles au sang, fébrile elle avait beau être la plus jeune, elle se considérait sans orgueil comme étant la plus sensée des enfants. Et c'était sans doute vrai. Mais ce qu'elle regrettait par-dessus tout, c'était de ne pas avoir su nouer une relation plus complice avec sa fratrie, à créer des liens suffisamment forts pour qu'ils lui fassent confiance – sefassent mutuellement confiance – et qu'elle n'ait pas à s'inquiéter comme elle le faisait à présent.
Lorsque le jour eût pleinement achevé son déclin, Dimena rentra et ferma la porte à clef derrière elle, résolue. Si quelqu'un voulait entrer, il n'aurait qu'à frapper pour le lui faire savoir sa famille avait quant à elle la clef. La jeune fille frissonna à l'intérieur : il faisait aussi froid au-dedans qu'au-dehors, mais elle savait au fond d'elle que ce n'était pas qu'une question de froid. Ou du moins, pas ce genre de froid-là. Elle s'acquitta de quelques tâches ménagères de base, afin que son esprit n'ait pas le temps de songer à autre chose.
Le silence assourdissant lui pesait lourdement sur les épaules et la crainte profondément dans l'âme bien qu'elle s'efforce à fredonner, à chanter par-dessus afin de les tromper tous deux, à les tenir en respect le plus loin possible d'elle, la crainte comme le silence. Mais elle essayait surtout de se tromper elle-même. En vain. Lorsqu'elle se fut lassée de toute cette mascarade inutile, elle prit un livre et s'assit au coin du feu. Le crépitement des flammes et les protestations des buches qui ne voulaient pas brûler lui firent du bien.
Elle connaissait déjà cette histoire qu'elle avait choisie, un conte pour enfant qu'elle connaissait par cœur. C'était celui que préférait Assylana et le premier que sa mère lui avait raconté dès qu'elle avait été en mesure de comprendre le sens des mots. Laryssa et le Roi de feu.
Doucement, elle commença la lecture, l'esprit toutefois ailleurs, à quelques lieues d'ici.
Puis vint le moment où les mots n'avaient plus le moindre sens sous ses yeux, où les phrases n'étaient plus que des formes désœuvrées qui dansaient devant des pupilles qui ne les distinguaient presque plus. La magie de ce conte était morte depuis longtemps, bien qu'il conserve toujours sa beauté pour peu qu'on sache s'y intéresser.
Mais l'angoisse accaparait toute l'attention de la jeune fille. Impossible de se concentrer plus de deux secondes sur la trame du récit qu'elle connaissait depuis...combien de temps désormais ? Dimena ne put se résoudre à continuer, en dépit de tous les efforts qu'elle consacrait à la tâche. Elle eut envie de crier, de pleurer, de sortir récupérer son frère et sa sœur qui devaient avoir besoin d'elle car ils étaient une famille.
Lorsque Luthan et Morna rentrèrent bien plus tard dans la nuit, leur fille s'était endormie par la grâce d'un miracle au coin du feu qui se mourrait lentement, bercée par le chant du silence de la nuit. Ses mains entourant ses genoux, cependant, ne cessaient pas d'être crispée à s'en faire blanchir les phalanges.
Et Assylana et Doran n'étaient toujours pas rentrés...
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Prisonnière des bois [SDA] - Terminée
FanfictionLe roi Thranduil a autorisé les hommes à s'installer dans une partie de la forêt à la condition qu'ils se plient aux exigences et aux règles que le souverain a imposées : payer un impôt annuel et ne jamais dépasser les frontières. Mais les bois sont...