Secret de famille
Il s'était clairement passé quelque chose la nuit dernière, c'était indéniable. Le problème était que le jeune homme n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui avait pu susciter tels sentiments de défiance entre ses deux sœurs. Que celles-ci n'aient jamais fait preuve d'une manifestation affective ostensible l'une pour l'autre n'était pas chose nouvelle, lui-même ne berçait pas dans les étreintes et autres épanchements affectifs à longueur de journée, mais qu'elles se défient ainsi du regard en chien de faïence comme elles l'avaient fait ce matin même était un fait hautement singulier.
Doran craignait quelque chose de grave, mais en tant que seule figure masculine de la fratrie, il ne pouvait être certain que cela ne concerne pas uniquement de simples « indispositions féminines ». Il grimaça à cette idée, donnant au passage un coup de pied violent à une motte de terre ayant eu le malheur de se trouver sur son chemin. Cette histoire de « lunes », comme se bornait à l'appeler sa sœur aînée, il ne l'avait jamais réellement comprise, de même que son réel fonctionnement. Le corps féminin lui était entièrement étranger, aussi bien sur le plan théorique que physique, et Doran n'était pas séduit outre mesure par l'idée d'aller demander de plus amples explications à quelqu'un. Être le seul garçon n'avait pas que des bons côtés...
De part cet état de fait, il était bien déterminé à prendre connaissance seul de ce qui « indisposait » réellement ses deux sœurs, et d'agir en conséquence s'il ne s'agissait pas d'une affaire de « lunes ». Si ses parents, dans leur précipitation journalière, n'avaient pas fait attention au comportement de leurs filles, lui n'était pas dupe. Après tout, il avait passé toute son enfance avec elles à préparer savamment la moindre de leurs bêtises – il les connaissait peut-être mieux qu'il ne se connaissait lui-même.
Ce jour-là, le ciel avait revêtu un épais manteau de nuages, et le soleil qui s'évertuait à briller de l'autre côté de cette opaque couche gris cendre le rendait désespérément aveuglant. Il était impossible de profiter de la chaleur de l'astre ou d'estimer une heure même de manière approximative. De plus, il n'était pas non plus exclu qu'il pleuve dans le courant de la journée. Cela n'inquiétait pas le jeune homme et son géniteur outre mesure, toutefois. De toute façon, ce n'était pas comme s'ils avaient le choix ! Et puis... la pluie serait bénéfique dans son doux écoulement. Elle nourrirait la terre en profondeur, la laverait de tous ses tourments, effacerait les pires ignominies qui la souillaient comme on frotte la crasse de sa peau avec les ongles.
Les champs dans lesquels ils travaillaient étaient sollicités avec autant de ferveur qu'eux-mêmes sollicitaient les hommes pour leur entretient. Doran suait sang et eau chaque jour pour s'occuper des céréales et des légumes qu'ils cultivaient, l'heure de la récolte ayant commencé à sonner depuis peu. Puis il devait ensuite travailler longuement et minutieusement la terre s'il voulait prétendre pouvoir ensemencer de nouveau. Ce travail n'était pas sans difficultés, même pour les plus connaisseurs. Cependant, le problème ne résidait pas dans la terre elle-même, mais dans le fait que les plants, quels qu'ils soient, ne poussaient pas aussi vite que les cultivateurs le souhaitaient. Il faudrait sans doute changer de cultures pour la prochaine fois, trouver des choses qui poussent avec davantage de célérité tout en ayant malgré tout une assez bonne qualité pour prétendre rapporter des bénéfices. C'était vouloir le beurre et l'argent du beurre, mais qui sait si ça ne pouvait pas marcher ? A ce stade, ce n'était pas folie de vouloir tout tenter.
°Oo°oO°
Le ciel crût en noirceur aux abords de l'après-midi, après avoir déposé dans l'air épais une tiédeur désagréable et oppressante comme une langue poisseuse. Puis, comme si le destin avait décidé de frapper en même temps que le tonnerre, Doran brisa sa faucille au moment même où les premiers grondements célestes se firent entendre, faisant frémir les oreilles des hommes. L'idée de retourner chez lui prendre un nouvel outil et apporter l'ancien au forgeron pour voir s'il pouvait en tirer quelque chose ne l'enchantait pas, il aurait largement préféré rester travailler la terre et ne pas perdre davantage de temps. Mais il ne pouvait faire autrement. L'échéance du temps pour les taxes se réduisait à chaque seconde un peu plus et il faudrait que, dans trois mois, ils aient réuni l'argent nécessaire pour Thranduil. Trois pauvres mois seulement...
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Prisonnière des bois [SDA] - Terminée
FanfictionLe roi Thranduil a autorisé les hommes à s'installer dans une partie de la forêt à la condition qu'ils se plient aux exigences et aux règles que le souverain a imposées : payer un impôt annuel et ne jamais dépasser les frontières. Mais les bois sont...