Dans une autre vie.
Les fantômes de son esprit, plus puissants et plus féroces que par le passé, revinrent d'un seul coup l'assaillir avec violence, déferlant sur lui comme de l'eau après la rupture soudaine d'un barrage. Ils revenaient s'amuser en riant à titiller et torturer ses défenses mentales durement mises en place au fil des années pour se protéger des attaques de ses propres démons, jusqu'alors vaillamment repoussées avec succès. C'était mettre à l'épreuve une force qui n'en était plus tout à fait une, qui s'était métamorphosée en une chose qui n'avait pas d'appellation ni de forme, que l'on ne pouvait décrire avec des mots.
Il y avait au cœur de cette situation singulière quelque chose que le souverain n'avait encore jamais envisagée et qui, en dépit de tous les efforts minutieusement apportés pour faire taire les hurlements déchirants des spectres de ses anciens souvenirs, ferait voler sa barrière psychique en de multiples éclats, tel un pilier de cristal millénaire heurté par une simple pierre lancée avec une force déconcertante et insoupçonnée.
Il n'y avait pas le moindre doute à émettre quant à la réalité que lui renvoyaient ses sens. Ses yeux ne lui mentaient pas – ils ne lui mentaient que rarement. Mais fallait-il réellement que cette coïncidence, ce coup de poignard du destin, cette ironie de la vie, se produise maintenant, en entraînant la destruction dans son sillage, tel un puissant ouragan, un cataclysme apocalyptique ? Thranduil ne pouvait décemment pas laisser les sentiments et les divers questionnements qui prenaient vie en lui s'exprimer au grand jour, au risque de les voir lui porter préjudice injustement. Il ne pouvait qu'adopter un calme factice, en espérant que la violence du choc s'atténue rapidement. Son visage l'avait cependant déjà trahi l'espace d'un instant – un instant de trop – et il espérait que cela ne s'était pas vu plus que nécessaire avant qu'il n'ait finalement réussi à reprendre le contrôle de lui-même.
Il avait eu un brin d'hésitation concernant la braconnière, au premier abord. Car si la fille en elle-même n'avait rien de particulier, plutôt plate, maigre et d'apparence minable, ayant tout à envier à la gente féminine elfique, le garçon était différent. Il dégageait une aura étrange, mystérieuse et... familière, à la fois. Il possédait une certaine beauté, une certaine prestance dans son humanité, sa faiblesse humaine. Il y avait également dans son regard d'un bleu très clair quelque chose que Thranduil connaissait déjà, une lueur dansante et malicieuse mais également clignotante et faible. Il la reconnaissait pour l'avoir déjà vue et pour l'avoir déjà confrontée, pour s'y être brûlé à un degré dépassant l'entendement. La lueur de la vie, la flamme de l'humanité éphémère. Une farce, un leurre, un vulgaire piège.
Il n'y avait assurément pas d'erreur possible, pas même de quoi nourrir de faméliques chimères : la parenté des deux prisonniers était forcément intimement liée à celle d'Haryane, d'une façon ou d'une autre. Car bien qu'elle n'ait jamais eu d'enfant, le Roi se souvint qu'elle avait eu un frère du même âge qu'elle. Il se pouvait fort bien que celui-ci ait engendré une descendance à laquelle les deux êtres qui lui faisaient face appartenaient. Il ne pouvait exister une autre possibilité pour expliquer cela.
Le garçon était beaucoup trop semblable à cette femme parfaite aux yeux du Roi, comme s'il eût été son propre fils, pour enraciner les songes du souverain à l'état de suppositions, et, même si les traits de sa parente avait fini par perdre de leur netteté avec le temps – années ingrates et amères –, Thranduil avait encore en sa mémoire des images d'elle suffisamment nettes et parlantes pour pouvoir s'y fier presque aveuglément. Blond de cheveux, il était à peine plus petit que Legolas, et la mâchoire bien dessinée. Il avait également l'air d'avoir une force cachée, et le regard de celui qui se tait parce qu'il essaye de comprendre. Ou justement parce qu'il a compris.
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Prisonnière des bois [SDA] - Terminée
FanficLe roi Thranduil a autorisé les hommes à s'installer dans une partie de la forêt à la condition qu'ils se plient aux exigences et aux règles que le souverain a imposées : payer un impôt annuel et ne jamais dépasser les frontières. Mais les bois sont...