La dernière ligne droite.
— Vous êtes encore parti la voir.
— Oui.
Sa phrase n'était ni un reproche ni même une question, aussi ne comprit-elle pas le besoin qu'avait éprouvé Legolas de lui répondre par l'affirmative. Elle tourna la tête et étouffa un soupir, aussi discrètement qu'elle le put. Les derniers combats avaient été d'une rudesse sans précédent, qui ne permettait plus à quiconque d'ignorer que les araignées se mettaient en mouvement et qu'elles le faisaient vite. Les pertes se faisaient par dizaines dans les deux camps, une véritable hécatombe.
Tout au long de la journée résonnaient dans le palais des complaintes pour les morts et des berceuses pour les mourants. Et les souvenirs, tenaces et récents, étaient aussi douloureux qu'une peau écorchée à vif qui refusait de cicatriser. Lors des repas, le silence était de mise, car bien que douloureux, il n'était pas aussi douloureux et coûteux qu'une discussion pour laquelle certaines voix n'émettraient plus jamais de jugement.
La présence des uns rassurait les autres, mais c'était une bien maigre compensation, une consolation pour laquelle on éprouvait davantage de malaise. On mettait un point d'honneur à graver dans sa mémoire et de manière discrète les traits des elfes les plus anciens, à se souvenir de la voix des plus jeunes et à ancrer à jamais dans ses souvenirs leur nom, leur histoire. Savoir que toutes les chaises ne seraient peut-être pas remplies la fois prochaine les poussait à apprécier leur compagnie mutuelle. Chaque au revoir pouvait être un adieu.
Méridiel, déterminée à rester debout, s'assit finalement, et le mal engendré par ses mouvements lui arracha une grimace. Les estafilades étaient devenues plus régulières et s'étendaient sur son corps tels des ornements morbides, preuves sanguinolentes qu'elle avait échappé de peu à la mort. La douleur la lancinait beaucoup malgré les prescriptions du guérisseur et ses nombreuses recommandations, comme si elle essayait de mettre à l'épreuve les résistances affaiblies de son corps meurtri afin d'essayer de voir jusqu'où celui-ci serait capable de tenir avant de s'écrouler. L'elleth avait été frustrée de voir de que ses techniques de combat n'étaient plus aussi efficaces, les assaillants étant devenus trop nombreux. L'urgence à devoir se munir d'armes qu'elle avait cru ne jamais plus reprendre avait altéré sa capacité à galvaniser les troupes au cœur de la bataille, de par sa détermination, sa puissance et son regard pétillant d'espoir. Tout cela s'était terni, par l'usure et la fatigue, l'habitude également. L'impuissance aussi.
La jeune soldate, qui avait eu du mal au tout début à comprendre la froideur de ses compagnons, ne pouvait plus que la subir et la vivre à présent. Elle avait évolué avec eux, partagé leur souffrance, enduré leur malheur... Elle comprenait, désormais. Elle savait. Elle savait ce que cela faisait de se battre non plus pour sauver les autres, mais seulement pour mourir. Réduite au rang d'âme morte, engloutie par une détresse criante et un désespoir sans fin d'apparence... Méridiel n'était plus qu'une épée, un rempart qui s'effritait peu à peu comme une pierre érodée. Sa force de caractère en avait pâti, comme tout le reste. Certaines fois, en plein cœur d'une bataille, elle se demandait pourquoi elle tenait encore debout, pourquoi elle se battait encore. Puis elle se souvenait de Thranduil et de Legolas, et de la promesse qu'elle s'était faite à elle-même de voir les ruines du monde vivre leurs derniers instants. Elle ne devait pas mourir, elle n'en avait pas le droit.
— Tout va bien ? demanda Legolas.
— Oui, ça va... J'ai... juste un peu mal aux jambes, répondit Méridiel. Comment va Assylana ?
Elle espéra que la question n'avait pas été posée trop abruptement, car elle n'avait sincèrement aucune animosité envers la jeune femme. La douleur la rendait quelque peu désagréable, cependant. L'elleth sourit pour faire bonne mesure.
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Prisonnière des bois [SDA] - Terminée
FanficLe roi Thranduil a autorisé les hommes à s'installer dans une partie de la forêt à la condition qu'ils se plient aux exigences et aux règles que le souverain a imposées : payer un impôt annuel et ne jamais dépasser les frontières. Mais les bois sont...