Chapitre 27: Dimena

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Le mal était fait.

Les problèmes ne semblaient jamais se dissiper pleinement. Dès lors qu'elle se figurait que le pire était advenu et que plus rien de pire encore ne pourrait leur porter atteinte, quelque chose s'appliquait avec une délectation malsaine à lui prouver qu'elle se trompait. Dimena, toute rationnelle qu'elle était, ne croyait cependant pas que le destin s'acharnait sur elle et sa famille, mais il se pouvait fort bien que cette certitude change rapidement. La stupeur engendrée par les derniers événements avait suffi à lui couper le souffle et à la pousser à trembler pour tout et pour rien, à jeter régulièrement des regards inquiets par-dessus son épaule. Même le naturel calme de Siegfried, avec qui elle réussissait à passer un petit moment chaque jour et qui faisait preuve à son égard d'une patience plus que louable, ne parvenait pas à déteindre sur elle.

Ce jour-là, elle se réveilla plus tôt qu'à l'accoutumée et descendit dans la pièce à vivre, n'étant plus capable de trouver le sommeil. Dimena avait beau savoir qu'il serait sans doute plus judicieux de retourner au lit et d'essayer de voler encore quelques minutes de sommeil à une journée qui ne lui accorderait aucune minute de répit, elle ne pouvait s'y résoudre. La jeune fille songea donc, durant le temps qui lui restait avant que le reste de sa famille ne s'éveille à son tour, à repasser mentalement les tâches qu'elle aurait à accomplir aujourd'hui. Si elle ne se trompait pas, elle serait assignée au groupe des soigneurs et des cuisinières, puisqu'il fallait constamment soigner une blessure – mineure ou non – et nourrir les travailleurs.

Ce travail ne serait pas particulièrement harassant en comparaison de ceux que pouvaient bien avoir son père ou son frère, mais il n'était pas pour autant à prendre à la légère. Il suffisait qu'elle accomplisse bien son travail, en une seule fois et rapidement, pour que la seconde qu'elle avait pu gagner en le faisant – rien qu'une seule seconde– , puisse être celle qui conduise à finir les défenses à temps. Tout le monde s'accordait d'ailleurs sur ce fait : le temps était compté. Nul ne savait quand aurait lieu la prochaine attaque d'araignées, si même il y en aurait une. Et cette ignorance avait tendance à mettre à fleur de peau les nerfs des villageois, et à entraîner des désagréments dans certains cas. Les mots, toutefois, étaient les seules choses qui fusaient.

Cette peur rationnelle qu'ils éprouvaient, pleinement revendiquée ou purement refoulée, était présente chez tout un chacun sans exception ; il ne se passait pas un jour sans que quelqu'un ne jette subrepticement un regard inquiet vers l'horizon, de crainte d'y voir se dessiner en contre-jour la silhouette même de la mort venue plus tôt qu'elle n'aurait dû. Si au moins ils étaient sûrs que leurs travaux porteraient leurs fruits, au moins seraient-ils moins anxieux...

°Oo°oO°

Les bruits assourdissants étaient étonnamment divergents les uns des autres, mais son esprit avait réussi, par la grâce d'un miracle, à les faire se muer en simples bruits de fond confondus. A présent, ils ne se résumaient plus qu'à des bourdonnements certes désagréables mais supportables, pour peu que la jeune fille ne se concentre pas dessus. Voir ses compagnons courber l'échine de la sorte lui serrait le cœur derrière son regard impassible, aussi impassible d'ailleurs que le reste de sa personne. Mis à part la peur qui semblait faire partie intégrante de son être, Dimena n'était que peu ouverte à d'autres émotions et sensations.

Sa compagne, d'un an sa cadette, était plus fébrile : elle ne pouvait tenir en place, ne cessant de s'agiter en faisant basculer son poids d'une jambe à une autre tout en se mordillant la lèvre inférieure. L'aînée se sentit obligée de la rassurer, ou du moins de l'intimer à se calmer avant de perdre la tête :

— Cesse de t'agiter, Lys. Tu te fais du mal pour rien, déclara-t-elle sans pour autant se retourner vers elle.

Sa voix monocorde n'avait rien d'engageant, elle le savait, mais rien d'autre n'avait pu sortir de plus chaleureux. Imperceptiblement, ses doigts raclèrent les planches de la table en bois qui leur servait de support de travail. Elle ignora les éventuelles échardes qui avaient pu se glisser sournoisement sous ses ongles après le geste. La dénommée Lys, très petite pour son âge, se retourna vers Dimena et arqua un sourcil :

Prisonnière des bois [SDA] - TerminéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant