Chapitre 8 : En route

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Lorsque nous sortons, nous découvrons le premier lever de soleil depuis quelques jours. Nicky me lance un regard appaisant, comme pour me dire : "Je te l'avais bien dit, il n'y avait aucune raison de ne plus y croire!"
Il est trop tôt encore pour apercevoir le soleil mais derrière la maison d'en face, le ciel a des teintes orangées qui laissent deviner l'apparition imminente de la boule de feu durant la matinée.
Nous nous mettons immédiatement en route.
"Pas le temps de rêvasser, on file." pourrait nous dire Brad d'un ton orgueilleux si on ne se dépêche pas.
- On va d'abord chez Kévin, ce n'est pas très loin de chez Mémé Girard, explique-t-il avec son air de chef.

Il a raison, la maison la plus proche d'ici est celle de Mémé mais celle-ci a expliqué ne pas avoir besoin de retourner chez elle, elle a tout ce dont elle a besoin et retourner à son lieu de résidence lui arrache le coeur. Vaut mieux éviter qu'elle nous face une crise de chagrin pendant des jours. Sage décision, ma bonne vieille Mémé.
Kévin habite juste à côté de chez elle, à peine quelques maisons plus loin et Tristan juste en face.
Brad se met seul à la tête de notre petit groupe, Nicky est entre Mémé et moi, nous sommes juste derrière le chef, comme l'appelle Mémé. Kévin et Tristan discutent à voix basse, deux mètres derrière nous.
- Bradley, combien de temps va-t-on mettre pour arriver à Vieux York ? demande Nicky.
Celui-ci sort un papier de la poche de son pantalon beige, et sans se retourner, rétorque sèchement :
- Si on marche à ce rythme, des années. On est pas en balade, je vous signale. Si vous suivez le rythme que je vous donne, et qu'on croise aucun problème, il se peut que nous arrivions entre demain tard dans la soirée et le sur-lendemain matin. Cela dépend des circonstances, si on décide de dormir quelque part cette nuit où de continuer de marcher.

Bon, j'ai bien compris à son terme "des années" qu'il exagérait, mais ça n'empêche de m'agacer. J'aimerai le voir, moi, dans quelques dizaines d'années, quand il aura l'âge de Mémé, si il saura faire du 10 kilomètres par heure durant deux jours.
- Bradley, as-tu trouvé où nous pourrions dormir cette nuit? interroge Mémé qui ne semble pas s'inquiéter.
Toujours sans un regard en arrière, nous l'entendons déclarer :
- À 36 kilomètres d'ici, presque à mi-chemin de notre voyage, j'ai détecté un parking sous-terrain, à côté du centre commercial. Je pense qu'ils ont fait sauter le centre mais le parking sous-terrain, ça m'étonnerait... Nous pourrions nous abriter là pour la nuit si le besoin se présente.
Nous sommes devant chez Kévin, personne n'ose jeter un oeil sur la maison de Mémé, juste à côté, par respect.
Brad se retourne enfin vers nous.
- Gabriel, fais-moi plaisir, mets ta capuche ! lance-t-il sans se soucier de masquer son irritement.
Je m'exécute à contre-coeur. Je sens que je ne vais pas supporter ça.
- Ils sont capables d'enlever tous les roux du pays pour découvrir ce que tu manigances, me dit calmement Mémé.
- Pourquoi auraient-ils besoin de moi? Je suis juste sur un dessin qui est passé quelques secondes à l'antenne! je m'écrie. Comme si ils pourraient me reconnaître par rapport à un dessin,en plus!
Brad rougit de colère, rapproche son visage du mien ( son nez est presque collé sur ma joue ).
- Ils vont faire exploser la moindre petite chose qui leur oppose, s'énerve-t-il, personne ne doit survivre! Ne fais pas de manières et laisse ta capuche je te prie!
Il recule son visage, je déglutis avec difficultés pendant qu'il laisse Kévin ouvrir sa porte et pénétrer dans sa maison, suivi de Tristan puis entre à son tour sans fermer la porte, en lançant clairement "Surveillez".

- Il est à cran, désolé, déclare Nicky d'un air navré, en ce moment il s'énerve vite...
- Non, tu crois? je réplique immédiatement avec une ironie piquante.
- J'en suis certaine, moi, fait Mémé d'un ton ferme, tu es recherché alors laisse ta capuche et ne nous apporte pas d'ennuis.
Durant quelques minutes, plus personne d'entre nous parle ( personne non plus n'a essayé de relancer la conversation, d'ailleurs. C'est bien comme ça qu'on peut perdre ses amis même les plus précieux, ceux sur qui on a cru toujours pouvoir compter : par fierté. C'est idiot.)
Brad, Kévin et Tristan reviennent enfin. Je remarque que ce n'est pas la joie non plus, de leur côté. Kévin a l'air profondément choqué (ou juste dans la lune, comme à son habitude) et Tristan a les yeux humides.
- On va chez Tristan, maintenant, explique Brad, restez dehors, nous lance-t-il.
- Non, lance Kévin, je vais rester dehors un peu...
- Ça ne va pas? s'inquiète Tristan.
Kévin hoche la tête et se laisse prendre dans les bras par Nicky.
- C'est pas grave, décide le chef, Gab, tu viens.
Il ne me demande même pas mon avis, Tristan et lui sont déjà dans le jardinet devant la maison d'en face, celle de Tristan.
Je me dépêche de les rejoindre à l'intérieur.
Quand je rentre dans la petite entrée  (vieillote et même pas éclairée : flippant ), une forte odeur de renfermé m'étouffe. Brad et Tristan n'y font pas attention. Ils ont dû vivre la même expérience désagréable chez Kévin.
Tristan ouvre la première porte sur notre droite, il fait très sombre mais je reconnais une cuisine. De la lumière lutte pour passer à travers les volets clos et illumine quelque chose de flou au sol. Je me concentre dessus et je distingue avec difficultés un corps avec... deux têtes. Une de taille normale et une plus petite. Deux têtes?! C'est impossible! Je sens ma tempe palpiter quand Brad me pousse à entrer et je découvre qu'il s'agit de la mère de Tristan et un tout petit bébé. Oui, c'est ça. Je vois distinctement le plus petit corps à présent. Tristan semble choqué mais je pense bien qu'il ne découvre pas ce spectacle, il a dû les trouver comme cela le soir de Noël voire le lendemain matin.
- C'était ma belle-soeur de presque un an, Nina...murmure-t-il au bord des larmes. Je pense que ma mère a goûté la dinde avant de la servir et qu'elle est tombée sur Nina sous l'effet du poison...
Je m'empresse de refermer ma bouche quand je me rends compte qu'elle est grande ouverte.
Brad observe Tristan avec intérêt en réfléchissant à voix haute et parle très vite.
- Ce serait donc un poison à effet rapide. Quelques gouttes à peine sur une dinde comme celle-ci suffiraient à supprimer quiconque en mange même rien qu'une petite part. Ils ont dû en produire des litres au Gouvernement pour en mettre dans chaque colis! Tout cela coûte mais comment auraient-ils pu dépenser tant d'argent pour tuer? Quel est leur but final?
- Ça paraît impossible tout ça, dis-je dans un souffle en retirant ma capuche.
- Et pourtant il existe un tel poison, avoue-t-il. De grands chimistes du Gouvernement y travaillent depuis trois ans et on réussi à le perfectionner pour en faire quelque chose de, selon eux, parfait. Les chimistes en ont alors produit des litres et des litres cette année. Ils n'ont fait que ça. Juste pour le Gouvernement. J'espère qu'un tel poison n'existe plus, qu'ils ont épuisé leur réserves.
Je décide de sortir de la pièce, la tête me tourne. Depuis le couloir, je demande à Tristan si ils étaient juste trois pour Noël, il a tout de suite compris où je veux en venir.
- Non, Gabriel, personne n'a survécu. Il y avait mon père, c'est tout. Va donc voir dans le salon, il a succombé à l'apéritif devant mes yeux. Dernière porte au fond.
Je suis ses indications et me dirige à tâtons vers la dernière porte au bout du couloir, dans une obscurité totale.
Je trouve une porte et je l'ouvre. Dieu merci, la baie vitrée du salon est ouverte. Avec cette lumière, je distingue avec facilité la silhouette du père à Tristan, allongée dans une position inconfortable sur le canapé.
J'entends les voix étouffées de Tristan et Brad, à l'autre bout du couloir.

Sur la table basse qui fait face au canapé, se trouvent des biscuits apéritifs, chips, etc qui faisaient également parti du colis du Gouvernement.
J'appelle Tristan qui arrive quelques secondes plus tard dans la pièce. Je lui dis :
- Où se trouve le colis? Je me suis promis d'en offrir un à Thompson. Il le mérite.
Il me regarde en levant les sourcils.
- Il se douterait, il n'est pas idiot. Comment s'y prendre? Brad vient d'avoir la même idée...
- Eh bien faisons-le alors! je m'exclame.
- Oui, allons-y! répète Brad qui vient d'entrer dans la pièce, arborant l'un de ses rares sourires.
Tristan soupire, jette un regard humide vers son père et chuchote :
- Il se trouve dans le garage. Vous le verrez tout de suite en entrant.
Brad se charge d'aller au garage et revient quelques minutes plus tard, le carton à la main.
Il retourne vers la cuisine pour remettre la dinde à l'intérieur puis revient ici pour ranger l'apéritif également.
- Mon père m'a privé d'apéritif car il voulait que je fasse attention avec mon poids... En me privant de ce que j'aime il m'a sauvé... C'est pas croyable...articule Tristan avec difficultés.
Brad revient vers nous et nous regarde l'air satisfait en demandant à Tristan s'il a récupéré ce dont il a besoin, ce dernier acquiesce puis nous sortons.
Mémé, Nicky et Kévin nous attendaient à la porte, le soleil est en train de se lever.

Enfin, nous nous arrêtons chez Brad et Nicky qui restent assez longtemps à l'intérieur.
Et lorsqu'ils ressortent :
- En route! lancent-ils joyeux.
Et nous commençons notre incroyable voyage.

Nicky remet ma capuche en rigolant.
- Ça te fait un air mystérieux j'adore ça! s'exclame-t-elle.
Brad se retourne, il a une carte routière à la main.
- Essayez de vous faire plus discrets par contre, on est dans les derniers survivants de cette planète, on peut se faire repérer vite. Puis, fait-il en me regardant, on est recherchés.

Tout le monde se calme et plus personne n'ose parler la première demi-heure de marche.
Le soleil est complètement levé à présent.
Je marche entre Mémé et Nicky en regardant le sol.
Brad est encore devant nous, sa carte à la main et Kévin et Tristan sont encore deux mètres derrière mais ils ne parlent plus.
Je reconnais encore l'endroit dans lequel nous sommes. Un ami du collège habitait près d'ici.

Nous marchons à belle allure, Mémé tient vraiment bien le rythme.
Nicky se met à chantonner une chanson de mon groupe préféré calmement. Je lui jette un regard complice et je chantonne avec elle à mon tour. Une fois la chanson terminée, j'en entamme une autre et elle me suit. Nous en chantons une autre puis une autre encore. Je ne sais dire combien on en a chantées mais cela m'a tellement soulagé, j'ai momentanément oublié toutes les catastrophes qu'il nous est arrivé, je me suis même rempli de joie quelques instants.


Et voilà, c'est la fin de ce chapitre 8! J'espère que ça vous a plu! N'hésitez pas à laisser vos avis, idées et conseils haha! :D Et si l'histoire vous plait, votez pour celle-ci ou abonnez-vous :3
À samedi prochain ;)

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