II. La Grande Halanà *

999 175 93
                                    




Au-dessus de Bulle-City - Quatrième mois du Solstice d'Hiver I

L'aéronef plane avec délice au-dessus des nuages. J'entrouvre la fenêtre rectangulaire qui orne le côté droit de l'habitacle en chrome. Un air frais et parfumé passe sous mon nez, exécute une pirouette, avant de regagner le grand large. Quelle odeur exquise: celle d'une végétation en fleur vibrant au-dessus du monde, s'épanouissant à l'abri des regards, échappant à une pollution chaque jour plus dévorante.

Ce même parfum règne dans la majestueuse Bulle-Home de Miss Diamond, ce parfum dont je m'enivre chaque jour et qui me rappelle sans cesse la douce vie que je menais avec mes parents au rythme des levers et des couchers du soleil.

La pointe de la tour nord située sur l'île de la grande Ursulla brille au loin, tel un joyau des cieux aux mille facettes. Ici, le monde est beau, ici, le monde respire.

Après une vingtaine de minutes à planer près de Solésus, l'astre tout-puissant qui illumine nos terres, j'actionne l'unique manette de l'aéronef afin de perdre de l'altitude, l'île de la grande Halanà ne devrait pas tarder à se dévoiler par-delà l'atmosphère suffocante de Bulle-city.

Elle a beau être l'île la plus éloignée de toutes, cette terre flottante est l'une des plus imposantes de Bulle-City. À l'écart du reste de la cité, sa végétation, aussi luxuriante que dense, attise toutes les curiosités voire la convoitise des plus vils dérobeurs. De nombreux touristes tentent d'approcher ses côtes idylliques, en vain.

Les îles sanctuaires des déesses mères sont sacrées. Elles sont mieux gardées que la plus dangereuse des prisons comme celle située dans l'effroyable crevasse de la mer Ventule. Les pires dérobeurs y coulent des jours aussi noirs que la plus épaisse des brumes. Rien que d'y penser, une vague de frissons remonte le long de ma colonne vertébrale.

Les nuages s'éclaircissent soudain, découvrant l'île miraculée. L'aéronef ralentit et je contemple avec délectation la lande de terre isolée et ses statues monumentales. L'or qui les recouvre brille avec arrogance.

La machine volante tressaute tout à coup, broutant l'air comme un ruminant, puis stabilise à nouveau sa course. Elle se rapproche doucement du seul point de contrôle ouvrant l'accès à l'île divine et mon coeur se serre dans ma poitrine comme un raisin sec. Je n'ai pas eu l'honneur de converser avec la grande Halanà depuis que Miss Diamond m'a pris sous son aile. Dans mes souvenirs, la grande déesse était d'une beauté surnaturelle, d'une sérénité inspirante. Seul son visage éclaire encore ma mémoire sur ce lointain souvenir.

L'aéronef s'arrête bientôt au niveau d'une bulle transparente dans laquelle est perchée un être étrange au nez aquilin et aux yeux perçants. Difficile de déterminer s'il s'agit d'un être purement masculin ou féminin tant les traits de son visage me paraissent étranges. J'ouvre en grand la vitre de l'aéronef et ne résiste pas à l'idée de pencher ma tête au-dessus du vide. Mes lourdes boucles brunes chutent devant mes yeux puis encadrent mon visage. L'eau qui s'agite sous la machine volante est d'un bleu éclatant, semblable à celui qui fond du ciel durant le solstice d'été.

Une voix aussi claire que du cristal m'interpelle alors que mon regard se perd au-delà des éléments. Je redresse la nuque, encore émerveillée par le sable épousant à la perfection les rayons de Solésus.

- Bonjour, vous avez rendez-vous ? me demande la créature à l'apparence humaine tout en pianotant avec précision sur un écran holographique.

J'inspire avec mesure avant de répondre.

- Oui. Je dois rencontrer la grande Halanà ce matin même, énoncé-je en articulant chacun des mots qui sortent de ma bouche pour être comprise par l'étrange être.

* I. Mortality *Où les histoires vivent. Découvrez maintenant