Feelings

Chapitre 6

June

Ce parc est immense, ça change de cette petite ruelle dans laquelle nous étions il y a cinq minutes. Nous marchons sur un sentier en brique entouré d'arbres. Nous sommes en automne, les feuilles prennent des teintes chaudes et l'air est encore doux. Derrière ces arbres se déroulent, à perte de vues, des terrains d'herbe, des terrains de jeux où les enfants courent, se chamaillent, crient et pleurent.

- Je déteste les mômes, dit Alexe.

- Pourquoi ça ? Répondis-je surprise par ce qu'elle vient de me dire.

- Bah ça crie, ça pleure, ça fait des caprices, ça vomit, ça dort et on doit y surveiller tout le temps. En plus de toute l'attention qu'on leur donne, pour nous remercier, ils nous font une crise d'adolescence puis à 20 ans ils se cassent de la baraque sans même nous payer.

- Je suis d'accord avec toi, sauf pour l'argent à la fin car on fait des enfants par amour et non pour être payer ensuite. Pour le reste, ainsi va la vie.

- Tu veux des enfants plus tard, toi ?

- Bah à vrai dire, non, mais je pense que j'en aurais, plus tard.

- Ouais tu fais comme tout le monde quoi.

- Comment ça ?

- Bah sous prétexte que la société veut qu'on ait des mômes à 25 ans, toi tu vas les écouter. Ça m'énerve que tout le monde fonctionne de cette façon, après tu fais ce que tu veux. Je ne sais pas si tu en veux parce que tout le monde en aura ou si vraiment tu en veux.

J'avoue que je n'avais jamais pensé à ça et je ne sais quoi dire. Je hausse les épaules en guise de réponse et on continue notre route.

On arrive sur une place en forme de cercle avec un carrousel et des bancs autour de celui-ci. C'est immense, des buissons ornent le contour, ce qui donne un charme à cet endroit. Une musique s'échappe du manège au rythme des petits chevaux et autres montures qui montent et descendent des piliers en métal. Nous nous asseyons sur l'un des banc et j'admire la vu. J'ai jamais vu un endroit aussi magnifique, j'ai l'impression d'être dans un rêve d'enfant, ou dans un film, je ne sais pas vraiment. Mais j'aime ce sentiment. Je sens le regard d'Alexe peser sur moi. Je sors de ma petite bulle et me retourne vers elle, j'essaie de la regarder mais les rayons du soleil m'aveuglent.

- Tu n'as pas bientôt fini de me mater ?

Elle détourne son regard. Pour la première fois, j'entends la gêne dans sa voix. Les rôles s'inversent on dirait.

- Je... je ne te matais pas.

- Pourquoi tu me regardes alors ?

Je lui sourie pour la détendre.

- Bah je constatais juste que tu n'étais aussi chiante que je le pensais.

- Tu me trouvais chiante, demandai-je en plaisantant.

- Bah je pensais que tu étais une de ces filles reloues, qui pensent tout connaître sur les autres, qui ont pour seul but d'attirer l'attention sur elles, un peu comme Lawra.

J'éclate de rire, Alexe me regarde interloquée, le sourcil haussé. Je me calme avant de lui répondre :

- Je suis loin de vouloir attirer l'attention sur moi, je n'apprécie pas spécialement le caractère de Lawra. Moi, je fais ma vie de mon côté. J'ai mes projets. J'ai pas envie d'être amie avec tout le monde. De base je n'étais pas emballée à l'idée de vous rencontrer, Luca et toi, mais je ne regrette pas.

Elle passe son bras derrière moi. Elle titille son piercing à la lèvre. Malgré que je ne vois presque plus rien j'arrive a voir que ses yeux ont viré au bleu. Je suis fascinée par ses yeux et leur capacité à changer de couleurs selon son humeur. On se regarde pendant au moins une minute. C'est agréable d'être avec quelqu'un sans vraiment être obligé de parler, il faut savoir apprécier le silence. Alexe se retourne et me montre d'un signe de tête le carrousel en face de nous.

- Tu veux faire un tour de manège ?

- Non merci ça ira, répondis-je en lui souriant.

- Ça tombe bien, car je suis fauchée.

- Pourquoi tu me proposes alors ? Et puis je pouvais payer moi aussi, vu que tu m'as payée le Tacos tout à l'heure.

- Je ne sais pas à vrai dire.

On rit encore, j'ai l'impression qu'on rit toutes les deux secondes. J'apprécie vraiment être avec elle. Ça change de Lawra qui me parle constamment de ses conquêtes.

***

On passe deux bonnes heures à discuter sur notre vie, à faire connaissance, tout en faisant le tour du parc. J'ai appris qu'elle vivait seule avec sa mère dans un appartement dans le quartier voisin, son père est parti à ses 11 ans, je n'ai pas insisté pour connaître la raison car le sujet semblait sensible et puis, ça ne me regarde pas. Moi je lui ai également raconté ma petite vie paisible. Elle m'a encore traitée de mamie car ma vie était plate et sans ambiance, on dirait "une retraitée avec ses chats", comme elle dit. Je l'ai tapée et on a encore rigoler. J'adore plaisanter avec elle.

Le temps passe et il se fait tard. Je lui dis que je dois partir, elle n'en a pas vraiment envie ça se voit et, pour dire vrai, moi non plus. Elle me raccompagne jusqu'au bus. Quand celui-ci arrive je monte, valide, trouve une place et m'y installe. De la fenêtre elle me fait de grands signes. Je ris et lui envoie un baiser. Elle fait mine d'être touchée et elle sourie à son tour. Le bus démarre. J'ai adoré cet après-midi. J'envoie un message à ma mère pour lui dire que je rentre et ensuite j'en envoie un à Lawra. Je sens qu'elle va m'appeler ce soir... Ah bah non, à peine le message envoyé qu'elle m'appelle.

- Allô ?

- Raconte-moi tout !

J'entends l'euphorie dans sa voix.

- Bah... C'était super.

- Elle est comment alors ?

- Comme tu parles d'elle on dirait que c'était un rencart.

- On en est pas loin.

- Abuse pas Lawra ! dis-je en plaisantant.

- Je te taquine, sinon vous avez fait quoi ?

- Bah on a mangé au Tacos et on est allée au parc puis on a papoté, rigolé... Ah et à un moment Luca a envoyé un message à Alexe qui a semblé l'énerver.

- Ah...

- Lawra ?

- Oui ?...

Sa voix est moins enthousiaste.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Luca est à côté de moi et je suis sur haut-parleur.

Merde.

- Oups, désolée.

Elle a raccroché. Dans quoi je me suis mise encore ? Qu'est-ce qu'il va se passer demain ? Vont-ils mettre Alexe au courant ? Que va-t-elle penser ? Qu'on ne peut pas me faire confiance ? Il fallait bien que quelque chose bousille mon superbe après-midi.