Chapitre 2 : Réalité

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J'ai mal. Ma poitrine s'abaissait et se soulevait au rythme de ma respiration irrégulière. Des picotements me parcouraient le dos, mon cœur cognait férocement dans mes tempes, mes genoux m'envoyaient des éclairs...Tout autant de sensations qui me rappelaient que j'étais encore en vie. La confusion dans laquelle m'avait laissé les derniers événements me nouait l'estomac, sans vraiment savoir où j'en étais. Les scènes se rejouaient, les cris résonnaient, l'espoir se noyait. Je ne savais plus quoi penser, obnubilée par un unique désir. Celui de retrouver mon frère.

Il était temps de faire face à la réalité.

J'ouvris lentement les yeux, bien que découragée par la lumière nouvelle qui m'aveuglait. Ma vue encore trouble, je distinguais néanmoins des lignes au plafond. Partout où je tournais la tête, mon regard se perdait dans une immensité blanche, une pâleur sinistre.

Bientôt, les images s'ajustèrent et je me redressais, tremblante.

Autour de moi, une pièce sobre et fade. L'agitation frénétique de la population m'était visible depuis la fenêtre à ma gauche. Je portais mes mains à hauteur de mon visage et les vis toutes deux bandées jusqu'au poignet. De nombreuses interrogations s'éveillaient alors en moi. De plus, cette chambre empestait la maladie et les médicaments.

Ces détails confirmaient mes soupçons. J'étais donc bien dans un hôpital. Mais en réfléchissant, c'était plutôt logique. La police m'ayant retrouvé en plein moment de démence, elle n'avait d'autre choix que de me conduire ici. En revanche, je ne me souvenais pas du trajet. J'ai dû m'évanouir avant ce dernier.

Hélas, je ne pus songer davantage car des voix venaient par ici. Un homme vêtu d'une longue chemise blanche poussa la porte et sur ses talons, je découvris ma mère. Ses traits crispés un instant auparavant se détendirent aussitôt quand nos pupilles se croisèrent et elle me prit immédiatement dans ses bras. Je grimaçais quelques peu à cause de la douleur mais lui rendais généreusement son étreinte. Néanmoins, je fus obligée de l'interrompre avant qu'elle ne me brise les os :

« Maman j'étouffe ! raillais-je.

- Mon poussin j'ai eu tellement peur ! » s'écria t-elle en retenant un sanglot.

Ma mère s'écarta alors de moi, me souriant tristement. Je comprenais ce qu'elle ressentait. Une fille à l'hôpital et un fils disparut dans la même journée, il fallait être sacrément forte pour supporter cela ! Je devais l'être moi aussi. Pas question d'être un fardeau de plus !

Celui que je supposais être un médecin se contenta de sourire face à cette scène émouvante. Il prit place sur une chaise près de nous et commença, inspectant son bloc-note :

« Comment vous sentez-vous mademoiselle...Takara c'est ça ?

Mon expression devint plus ferme et mon sourire se dissipa. Le comportement de ma mère, la réaction du médecin...

- Ce n'est pas un rêve n'est-ce pas ? demandais-je le souffle court.

Il arqua un sourcil, sans doute surpris de cette question. Il prit cependant la peine d'articuler une réponse, replaçant nerveusement ses lunettes sur son nez :

- Écoutez Mademoiselle, vous êtes le dernier témoin oculaire d'un accident très grave. Est-ce que vous vous en souvenez ?

- Le...dernier ? Mais monsieur c'est impossible ! Il y avait plein de monde sur le boulevard et...

- Tous ces gens sont morts, coupa t-il.

Mon regard se perdit dans le vide à l'écoute de ses mots. Je demeurais un instant inerte. Mais pourtant, la route était encombrée par un nombre incalculable de véhicules sans compter la foule sur les trottoirs ! Ils n'ont pas pu tous...périr ? La main rassurante de ma mère vint serrer mon épaule, comme pour me transmettre encore un peu de courage.

- Et mon frère ? repris-je incertaine.

- Votre frère se porte disparut pour le moment. Il n'est pas encore inscrit sur la liste des victimes.

- Évidemment qu'il n'y est pas inscrit ! Mon frère est en vie et je le retrouverai ! répliquais-je déterminée.

- Ça c'est le travail de la police Mademoiselle. Quand vous vous en sentirez capable, vous pourrez aller faire votre déposition. Votre témoignage leur sera d'une immense aid...

- Je suis prête ! interrompis-je obstinément.

- Calme-toi ma chérie. Tu n'es peut-être pas en état, insista ma mère rongée d'inquiétude.

- Votre mère a raison, ajouta l'infirmier. Je dois d'abord évaluer votre état de santé mentale et physique. Voulez-vous bien répondre à quelques questions ?

Je lui répondais par la positive. Je devais à tout prix sortir d'ici !

L'homme attrapa un stylo et s'apprêta à noter :

- Bien. Ressentez-vous des douleurs quelconques ?

- Pas du tout, mentis-je.

En réalité, mon dos me faisait atrocement souffrir. La chute que j'avais subi n'était effectivement pas des moindres mais cela ne m'empêchait pas pour autant de me mouvoir. Les paumes de mes mains me brûlaient par endroit. Sans doute m'étais-je écorchée. Ma tête autrefois prise de migraine allait mieux maintenant. Cependant, je craignais qu'il n'en survienne de nouvelles. Mais si je lui disais la vérité, il me retiendrait.

- Je vois. (Il griffonna sur son carnet.) Pouvez-vous vous lever ?

J'obéissais et sortis prudemment mes jambes maigrelettes des couvertures. C'est alors que je remarquais que j'étais simplement vêtue d'une chemise de nuit bleu claire, ample et longue qui descendait jusqu'à mes genoux. Je déposais mes pieds menus sur le sol froid puis un frisson remonta sur mes mollets. Ma mère voulut m'aider mais je lui fis comprendre que je saurais me débrouiller. Dans ces moments-là, je me sentais impuissante et je détestais cette impression. Pour tout mon entourage, j'étais la jeune fille fragile qu'il fallait protéger et chérir, celle qui se décourageait facilement et pleurait pour un rien. Un jour, j'aimerai que les rôles s'inversent. J'aimerai leur prouver à tous que je ne suis pas cette enfant pleurnicharde et faible. Un jour, ce sera à mon tour de les protéger.

Je m'aidais de mes mains et me levais. Puis, je me mis à faire les cents pas dans la pièce, vérifiant par la même occasion que mes blessures ne m'encombraient pas.

- Pas de difficulté pour marcher ? interrogea t-il de nouveau.

- Aucune, ajoutais-je confiante.

Il afficha un sourire satisfait et se releva.

- Eh bien, tout ça me semble parfait, conclut-il. Vous allez pouvoir rentrer chez vous. »

Je lançais un regard victorieux à ma mère. Malgré tout, ce dernier me conseilla d'être prudente et m'indiqua que mes affaires étaient dans l'armoire. Je le remerciais promptement, mourant d'envie de retirer cette affreuse robe de chambre. Enfin, il quitta la chambre sous mes œillades méfiantes. Quant à ma mère, elle m'assura qu'elle m'attendrait à l'accueil et bientôt, je me retrouvais de nouveau prisonnière du silence.

Je me précipitais directement vers l'armoire que j'ouvris brusquement et c'est sans surprise que j'y découvris mes vêtements, soigneusement pliés. Je m'en emparais avidement lorsque je vis quelque chose glisser entre deux tissus et disparaître sous un meuble. C'est étrange. Je n'ai pas entendu le bruit de sa chute. Cependant, je ne m'y attardais guère et ramassais l'objet. Mes doigts rencontrèrent une matière douce et lisse puis j'écarquillais les yeux face à ma découverte.

Dans ma paume gracile, je tenais une plume ébène, ressemblant fortement à celle de...

« Raven. » chuchotais-je.

J'en étais sûre à présent. Les récents événements n'avaient rien d'imaginaires. Ma vie avait prit un autre tournant.

Et si Raven me cherchait, alors il allait me trouver.

RavenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant