2.

603 53 3
                                    

Point de vue omniscient

Palper des billets colorés, déguster des boissons chaudes et sucrées, se faire dorer par la naturelle luminosité et inspirer de l'air éthéré, étaient des choses foncièrement banales pour les humains sages mais incroyablement désirées par les êtres condamnés. Quand les barreaux devenaient leur nouveau paysage, l'évidence s'imposait à eux : les choses qui nous paraissaient triviales et prosaïques faisaient en fait parti de la survie mentale. Se détacher de la banalité était du suicide.

Quand les pages du calendrier s'arrêtèrent enfin sur la fameuse journée de réinsertion, un lot épais de souffle furent coupés. Les détenues qui avaient été désignées à ce jour - car leur peine atteignait doucement leur apogée et car elles n'avaient pas eu de permissions de sorties - tremblaient comme des misérables feuilles, comme des fragiles êtres qui viendraient d'être mis au monde.

Leur malaise débuta dès l'aube, lorsqu'un gardien vint faire sonner une clé contre un fer poignant. Cette tragique mélodie fut accompagné de sa voix braillante. L'embarras ne put que devenir hyperbolique quand, après les avoir forcées à se lever, on demanda aux désignées d'enfiler des vêtements trop normaux et, surtout, propres, voire neufs.
Quand le tissu glissa contre leur épiderme, elles échangèrent toutes un regard turbulent et animé de désagréments. Troquant leur uniforme habituel sur lequel avait fondu leur âme vicieusement abîmée, elles eurent toutes un temps fou à s'adapter à cette nouvelle peau qu'on leur imposait alors qu'on leur avait arrachée auparavant.

Le groupe des désignées à la journée de réinsertion était composé de sept femmes, dont les personnalités propres à chacune formaient un éventail très intéressant. L'Appauvre et L'Arrogante en faisaient partis.

Leurs pas peureux qui ne souhaitaient que de stopper cette avancée oppressante claquèrent contre le sol tâché et souillé de la prison. Marchant dans le couloir funeste qui abritait bon nombre des cellules, elles furent dans l'obligation de subir les regards bouillants de jalousie superficielle des détenues enfermées.

Seule l'Arrogante Yara eût l'audace d'alimenter bien plus leur fureur en ne manquant d'envoyer à aucune des clins d'oeil et des grimaces dédaigneuses qui leur arrachèrent une cascade d'insultes.

Elles ne furent aucunement surprises en remarquant qu'elles n'allaient pas avoir de petit-déjeuner ce matin. À bien y penser, cela les arrangea énormément : le stress qui broyait leur ventre n'était pas apte à s'occuper de nourriture. De plus, cela leur faisait une journée supprimée à devoir supporter cette tambouille matinale.

Ce fut avec lassitude qu'elles supportèrent les dures paroles de quatre gardiennes qui allaient les accompagner pour cette journée redoutée. Règles, ordres et interdictions venaient ridiculement cogner contre leurs oreilles. Savoir qu'elles allaient devoir se mouler de nouveau au sein de la société les firent atteindre l'abysse de la fébrilité.

De dernières précautions volèrent dans l'air, puis le moment appréhendé advint.

Les mécaniques de la première porte tournèrent, les verrous chantèrent puis l'obscurité étouffante de l'entrée de la prison fut balayée d'une radieuse luminosité.

Le soleil les chercha puis frappa leur peau comme s'il n'avait attendu que cela.

D'abord surprises et secouées, elles ne se rendirent compte que peu de temps après que leurs rétines étaient en train de cramer, ayant été trop occupées à ressentir ces agréables braises sur leurs corps. Les effluves du vent et le son de l'herbe composèrent le doux parfum qu'elles avaient toutes connues des années auparavant. Leurs sens se remettaient en place.

Mille coups de Haine [TOME 2 - TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant