Mille coups de Haine [TOME 2 - TERMINÉ]

8.

Point de vue omniscient

Aujourd'hui, il allait se passer quelque chose. Ou du moins, c'était ce que pressentais L'Appauvre, accotée contre le mur squalide et recouvert de croûtes de l'appartement.

Comme à l'accoutumée, elle se trouvait être éveillée avant même les astres. Chaque matin, elle se levait et se dirigeait jusqu'à la fenêtre afin d'observer le ciel couleur gorge-de-pigeon, alors même que son amie guinchait encore avec Morphée.

Elle avait toujours eu l'accoutume d'être une lève-tôt, et bien plus maintenant qu'elle trouvait un léger réconfort au travers de ces mouvements de nuages plus passionnants que sa propre vie. Nombreuses furent les fois où la jeune femme eût trouvée le farfelu désir d'être un nuage également. Légère, coruscante, imposante, et surtout en constant déplacement, voilà ce qu'elle aurait voulu être.

Cependant, elle pensa subitement que c'était ce qu'elle avait été six ans auparavant. Oui, elle avait été un vif nuage aux mêmes caractéristiques du dessus. Elle avait été un nuage, et avait glissé contre le ciel.
Seulement, en tant que beau nuage, elle avait faite une overdose d'audace, une sorte d'hyperbole, et s'était, alors qu'elle s'était pensée invincible et surtout vive, trop rapprochée du soleil qui l'avait scindée en une minime nanoseconde.

Alors, elle ne fut devenue plus qu'un brouillard obligé à observer à chaque souffle du vent les parcelles de sa jeunesse s'envoler toujours un peu plus loin. Elle n'était devenue plus qu'un pauvre brouillard alors qu'elle avait été le plus beau nuage, et était désormais condamnée à réparer les erreurs de l'audace de sa jeunesse dans la patience. Une lourde patience, aussi lourde que ses bêtises à travers le vent...

À l'heure d'aujourd'hui, cela faisait approximativement deux semaines et demi que Yara fut à son tour sortie de prison. Après tant de jours, celle-ci avait bien finie par de nouveau s'habituer à l'extérieur. Pas comme son amie qui, après environ un mois hors des barreaux, avait encore un grand mal à s'adapter, malgré qu'elle puisasse toute la volonté qu'elle possédait.

La routine s'était donc finalement réinstallée. Une routine composée d'éveils, de marches, de recherches, d'échanges de pensées puis de sommeil. Des journées semblables. Des journées siamoises.

Allyah s'était habituée à cette routine. Cette dernière lui plaisait presque. En effet, elle n'avait que peu d'efforts à fournir et avait déjà tout sous contrôle. Elle n'aimait plus les surprises comme auparavant.
Seulement - et peut-être fut ce pour cela qu'elle se sentit étrangement nerveuse ce matin - elle pressentait cette brise de nouveauté qui n'allait pas tarder à pointer le bout de son nez. Cette hache volante qui allait venir couper la corde de la continuité.

Oui, il n'y avait plus aucune place pour le doute : aujourd'hui, il allait se passer quelque chose de différent.

L'Arrogante se leva au même instant que le soleil fut à son zénith. Encore en proie aux griffes séduisantes de Morphée, elle souffla d'un geste las sur cette mèche de cheveux qui venait lui chatouiller les yeux. Ses pommettes étaient pâles et ses lèvres, tremblotes.

Ces deux jeunes femmes pouvaient bien se cacher autant qu'elles le voulaient, l'évidence allait toujours les battre. Et jamais celle-ci ne fut plus éclatante que maintenant : l'évidence ici, était qu'elles commençaient de plus en plus à ressentir la faim et la fatigue. En prison, elles en avaient été protégées, mais désormais, elles ne pouvaient former que leur propre bouclier.