Acte II, scène 3.

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Jaesa et Estebar.


La Princesse déambule dans les couloirs sans vraiment savoir où elle se rend.

JAESA Est-ce que je le rejoins ? Ou est-ce que je m'enferme dans ma chambre et maudis le monde ? La deuxième option me parait être la bonne. Elle correspond plutôt bien à mon état d'esprit. Autrement, le voir pourrait me redonner le sourire. De plus, ce serait un excellent moyen de rétorquer à mère.

Lord Estebar tourne dans le même couloir, mais elle ne le voit pas.

JAESA J'ai envie de le retrouver. Alors qu'est-ce qui m'en empêche ? Ce ne sont pas ces deux mécontentes qui vont décider pour moi ! De toute façon, elles ne sont que deux envieuses !

ESTEBAR Vous ne semblez pas de très bonne humeur, votre Altesse !

Elle retient difficilement un cri de surprise et pivote brusquement face à lui.

JAESA Lord Estebar, écoutez-vous depuis longtemps ?!

ESTEBAR Ne vous inquiétez pas, Princesse. Mes oreilles n'ont rien entendu et mes yeux ne vous ont pas vue. Soyez tranquille.

JAESA, à part — Aurais-je prononcé quelque chose de compromettant ? Est-ce qu'il aurait tout compris ?!

ESTEBAR Néanmoins, j'ai peur de n'être que trop curieux. De qui parliez-vous ? Un amoureux secret ? Notre petite Princesse serait-elle enfin éprise ?

Elle blêmit à vue d'œil.

JAESA N-Non...(faiblement) Je crois que je ne me sens pas bien.

ESTEBAR, inquiet Je ne voulais point vous mettre dans un tel embarras, votre Altesse ! Pardonnez-moi. Je vais effacer ce que j'ai retenu dans ma mémoire, n'ayez donc plus d'anxiété.

Une idée germe dans l'esprit de la jeune femme.

JAESA Je crois savoir comment je pourrais vous excuser.

ESTEBAR, éclate d'un bref, mais franc rire — Revoilà l'Altesse que je connais ! En quoi puis-je vous être utile ?

JAESA Vous êtes au service de mon père depuis vingt ans maintenant, vous devez savoir des tas de choses. Il a dû également se confier à vous.

ESTEBAR Je vous arrête ici, votre Altesse. Ne me demandez rien de trop indiscret, je ne trahirai sa Majesté. Même pour vos doux yeux.

JAESA, à part — Il a dit "doux yeux", n'est-ce pas ? (elle se re-concentre) Rien qui ne le discréditerait. Je voudrais simplement savoir comment était l'entente entre ma mère et mon père au tout début. Aujourd'hui, ils sont froids et ne se parlent que pour le confort de la nation. Mais qu'en était-il aux tous premiers jours ?

ESTEBAR Sur cela, je peux vous aiguiller. Tout d'abord, sachez que j'ai grandi et reçu le même enseignement que votre père, nous étions très amis à l'époque. Néanmoins, j'ai dû m'absenter quelques temps. Je suis revenu à la Capitale une demi-douzaine d'années après leur mariage. Je ne pourrais donc vous narrer que ces instants-là.

JAESA  Ce sera suffisant.

ESTEBAR Ils étaient très proches. Pas une heure ne s'écoulait sans qu'ils ne soient ensemble. Leur amour sautait aux yeux. Le peuple entier les jalousait. On prenait exemple sur eux. Ils ont eu trois enfants - votre sœur aînée, ainsi que les deux premiers Princes -. Cette idylle a duré deux ans environ. Jusqu'à ce qu'une nouvelle union ne soit nécessaire. Sa Majesté s'est donc mariée à la seconde Reine. De cela est né le troisième Prince. Tous ont cru que la magie s'était éteinte entre le Roi et la Reine-mère. Mais, au contraire, ils se sont encore plus montrés ensemble. La seconde Reine reçut même des menaces de mort de la part de certains sujets pour qu'elle parte. Afin de la garder en sécurité, sa Majesté l'a envoyée chez les Dames de la Couronne pour qu'elle en devienne la gérante.

JAESA Qu'y a t-il ensuite ?

ESTEBAR Votre sœur, vos autres frères et vous êtes nés. L'amour entre la Reine-mère et sa Majesté est demeuré intacte.

JAESA, contrariée — Qu'est-ce qui est advenu entre ces temps-là et aujourd'hui ? Ils ont tellement l'air de se détester désormais.

ESTEBAR C'est en ceci qu'ils nous ont dupés. De l'extérieur, ils paraissaient merveilleusement bien. Une fois les portes du palais closes, ils se déchiraient. Au fil du temps, ils se sont lassés de cette mascarade, ils en avaient assez de produire cet effort. Ils ont juste baissé les bras. Et leur haine envers l'autre est apparue aux yeux de tous.

Ethrian I - TinudaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant