Ethrian I - Tinuda

Acte III, scène 5.

Jaesa, Estebar et l'inconnu, l'ancien.

Ils ont continué la route dans le silence. Estebar, vexé ; Jaesa, amusée ; et l'inconnu, indéchiffrable.

INCONNU — Nous sommes arrivés !

Devant eux, un simple campement avec le strict nécessaire.

JAESA — Oh ! N'avez-vous pas de maison ? Ou, au moins, une cabane ?

INCONNU — J'en ai une. Plus loin, au nord. Mais je n'y vais presque jamais.

JAESA — Pourquoi ?

INCONNU — Je préfère vivre là. Les gens m'étiquettent davantage comme un dérangé.

JAESA — Appréciez-vous cela ? Le voulez-vous ?

INCONNU — Bien entendu.

JAESA — Pourquoi ? Pour inspirer la peur aux visiteurs non-désirés ?

INCONNU — Pour vous tester, pardi !

ESTEBAR — Tester qui ? (à part) Princesse, Princesse ! Ouvrez les yeux, cet homme est louche !

INCONNU — Je ne suis pas fou, Lord grandes-jambes. Votre Princesse n'a nul besoin d'ouvrir les yeux.

ESTEBAR, à part — Comment peut-il m'entendre ? Qui est-il ?! Nous devons y aller ! Je dois éloigner la Princesse de cet énergumène !

INCONNU — Ne paniquez pas, Lord grandes-jambes. Vous devez vous questionner sur comment je sais ce que vous pensez.

ESTEBAR, brusque — Oui !

INCONNU — Eh bien, voyez-vous, je lis dans les pensées.

ESTEBAR, à part — Il doit être complètement désaxé !

INCONNU — Vous pensez que je suis un déséquilibré actuellement. Et Princesse Jaesa, vous pensez que votre compagnon est ridicule. Ai-je raison ?

JAESA, gaie — C'est tout à fait cela.

INCONNU — Je lis bel et bien dans les pensées... Ou alors, vos expressions sont simplement parlantes.

JAESA, réprime un fou rire en voyant la mine déconfite d'Estebar — Pourquoi agissez-vous ainsi, Monsieur ? Qu'essayez-vous de prouver ?

INCONNU — En faisant cela, j'ai découvert que vous, Princesse, êtes digne de discuter avec moi et que Lord grandes-jambes en est indigne. Mon comportement surprenant est un moyen de sélection.

ESTEBAR — Qui est digne de qui, bougre ? Vous ! Vous devriez vous sentir honoré par la présence de son Altesse !

JAESA, d'un souffle — J'ai compris.

INCONNU, captivé — Qu'avez-vous compris, Princesse ?

JAESA — Un vieillard qui n'a pas toute sa tête et qui vit dans les Montagnes d'Or. Vous êtes celui qu'on surnomme l'Ancien.

L'ANCIEN — Une Princesse du Palais Royal et le bras droit du Roi. Vous êtes ceux qui me cherchent.

ESTEBAR — Attendez ! L'Ancien ? C'est vous ?

JAESA, peinée — La vie n'a pas été juste avec vous, Monsieur. L'ennuie doit être mordante en cet endroit vide de tout.

L'ANCIEN — Il me semble que c'est une connaisseuse qui parle. Princesse à la cuillère dorée dans la bouche, vous ennuyez-vous malgré tout ?

JAESA — Vous êtes peut-être bien mieux ici que dans un palais, Monsieur.

L'ANCIEN — Seul ? A discuter avec quelques renards qui passent par là ?

JAESA — Entourée d'hypocrites ? A discuter avec des gens qui craignent de nous froisser et qui acquiescent aux moindres de nos paroles ?

L'ANCIEN — Touché ! Princesse, vous êtes sage. Pourquoi donc me cherchiez-vous ?

JAESA — Vous avez connu mon père des années auparavant. Étiez-vous à ses côtés avant même qu'il n'épouse la Reine-mère ?

L'ANCIEN — Nous nous battions ensemble durant les entraînements. J'étais son mentor.

JAESA — Alors, vous deviez être un de ses amis proches.

L'ANCIEN — Un des plus proches. Sinon, il ne m'aurait jamais permis de déserter ainsi après la bataille de Tendelle.

JAESA — Savez-vous s'il a aimé une autre femme que ses épouses ?

Le Lord se raidit sur le champ. Il agrippe la Princesse par le poignet et l'amène à l'écart.

ESTEBAR, contenant sa colère — Sommes-nous ici pour cette histoire de favorite ?!

JAESA — Vous avez refusé de m'avouer. J'ai dû trouver un autre moyen.

Il retourne à l'Ancien.

ESTEBAR — Vous, pas un mot ! Votre Altesse, nous rentrons !

JAESA — N'obéissez pas à cet homme, Ancien. Mais à moi. Je suis la plus haute figure d'autorité présente et j'exige que vous me répondiez.

L'ANCIEN — Ne vous en faites point, Princesse. Je ne comptais guère écouter Lord grandes-jambes.

JAESA — Lord Estebar, discutez un instant avec les chevaux, voulez-vous.

Il la force à le regarder, leurs visages ne sont plus qu'à une dizaine de centimètres.

ESTEBAR — Il y a des choses que vous n'avez pas à savoir, votre Altesse. Rentrons. Ou rendons-nous là où vous voudrez. Mais partons !

JAESA — Répondez-moi sincèrement, Lord Estebar. Est-ce que vous connaissez l'identité de cette troisième femme ?

ESTEBAR — Votre Altesse, s'il vous plaît... N-Non. Je ne sais qui elle est.

JAESA — Mais vous savez qu'elle existe !

Il ne répond pas.

JAESA — Votre silence est éloquent, Lord. Allez observer les montures.

Soupirant, il s'exécute tout en gardant un œil sur elle. La Princesse s'assoit sur un rondin de bois, tandis que le vieil homme lui tend un gobelet d'eau.

L'ANCIEN — Votre père est homme de cœur. Une fois que vous saurez, vous ne devrez jamais mentionner l'histoire que je vais vous conter. Le Roi n'en serait qu'affligé. Pas un mot, pas un nom. A personne. Surtout pas de nom.

JAESA — Je vous le promets. Mais quel nom ?

L'ANCIEN — Tinuda.