Acte V, scène 1.

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Le Roi.


Voilà un moment que Jaesa l'a quitté. Depuis, il est sur son trône, immobile.

ROI Sa voix...Sa voix est là. (désigne son crâne et le saisit entre ses mains) Elle tourne et se retourne dans mon esprit. Elle me hante et me tue. Elle m'enchante et me ravit. Triste, chagriné, désespéré ou juste ennuyé, je me ferme au monde et je me repasse quelques unes de ses phrases. Sa voix... Douce et bienveillante. Criarde et furieuse. Maussade et morne. Suave et rauque. Mais toujours chaleureuse.

Il rit plusieurs secondes, mais des sanglots se mélangent à ce rire. Toutefois, aucune larme n'apparaît.

ROI Cette folle ne parvient jamais à être en colère. On lui arracherait une jambe, elle ne broncherait pas. C'était là son point faible. Ce que je pouvais lui reprocher. D'ailleurs, c'était mon seul et unique reproche. Elle était phénomale. Parfaite. Pour certain, trop conciliante, trop enjouée et pas assez sérieuse. Pour moi, elle était parfaite. Un Ange qu'on aurait apposé sur terre et qu'on aurait offert à Ethrian. (sourit) Je sais que, dorénavant, le petit Ange n'est plus aussi complaisant. Le reproche a volé en éclat. Maintenant, plus rien ne l'empêche d'atteindre la perfection ultime.

Il se lève et fait quelques pas, avant de se stopper et de fixer un point droit devant.

ROI, rêveur — Je me souviens... Oh oui, je me souviens ! Le jour - ce radieux jour - où elle a marché sur les pierres de ce palais, suivie de partisans révoltés. Qu'elle avait frappé à mes portes. Que j'avais ouvert, caché derrière des dizaines de gardes. Qu'elle les avait surplombés en se mettant sur la pointe de ses beaux petits pieds. Et qu'elle avait dit ceci avec une bouille d'enfant. "Des carottes pour nourrir nos ânes. Nous n'avons plus de carottes et nous ne pouvons plus en faire pousser, nous n'avons plus le temps. Des carottes pour nos ânes !".

Il tend le bras vers ce point invisible.

ROI Mignonne, si mignonne. Oh ! et le moment où je lui ai répondue. J'ai bien cru qu'elle allait me frapper si je ne lui donnais pas ses carottes. Comment ne pas craquer ?! J'étais jeune, j'étais libre, je n'avais aucune pression de mon père - feu le tyran fou -. Elle était là, à ma portée. Elle ne me rejetait pas quand je revenais vers elle, inlassablement, tous les jours. Elle fut la femme, la femme que j'osai courtiser.

Son bras tombe mollement sur son corps.

ROI Je l'aimais. A la folie. Je prévus de l'épouser, quitte à ce que mon père m'exile. Tant qu'elle était mienne. Pour un jour, pour une heure, pour un "oui". Je l'aimais. (tristement) Mais j'ignorais. J'ignorais que mon père m'avait déjà fiancé bien avant que je n'eusse appris à gambader. J'ignorais qu'elle me repousserait parce qu'elle ne voulait pas que je m'oppose à mon père, parce qu'elle m'aimait elle aussi, trop pour m'infliger des douleurs. (de plus en plus vite) Elle me lança quelques horribles mots à la figure ! Elle crut que je la haïrais ainsi. Mais je ne l'aimais que davantage !

Il suffoque.

ROI Une troisième femme ? Une troisième femme ?! Non, non non !! Qu'une ! Ce n'a jamais été qu'elle ! Tinuda.


Ethrian I - TinudaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant