Chapitre 11

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Je détestais quand la nature nous trompait odieusement. Quand elle nous laissait sadiquement croire que la température allait se réchauffer, que a neige allait fuir sous l'offensive des rayons du soleil, puis quand, tout d'un coup, l'hiver revenait en force, amenant rafales de vent et pluies torrentielles dans son sillage.

D'ailleurs, ce fut la raison principale qui avait poussé le chauffeur à me tenir tete pour me convaincre de le laisser me conduire. Evidemment, j'avais cédé. C'est ainsi que, à l'abri de l'espace confiné de la voiture aux vitres fumées, je comptais mentalement les secondes avant mon arrivée à la salle de danse, avec la même angoisse que celle qui me saisissait avant un rendez-vous chez le dentiste.

C'était aujourd'hui que commençait l'entrainement intensif qu'allait nous faire subir Maria Parker, à moi et à Nathanaël. Elle avait eu la gentillesse de m'avertir précédemment des mesures drastiques qu'elle comptait prendre avec moi. Elle disait que j'avais du potentiel, mais qu'il y avait ce petit quelque chose qui m'empêchait de donner le meilleur de moi-même. Cette "chose" était le fait que j'avais perdu confiance en mon partenaire, il y a une éternité. Et ça ne risquait absolument pas de changer. Le simple fait de le voir suffisait à me rendre mélancolique.

Finissant d'attacher grossièrement mes cheveux, je quittai les vestiaires et pris la direction de la salle, baignée de lumière. A coté de la chaîne stéréo m'attendait Maria Parker d'un pied ferme, pianotant sur son clavier, son visage ayant revêtu l'expression d'un extrême professionnalisme. Je reconnaissais cette expression aussi vite qu'un bouton au milieu de la figure mal caché par le fond de teint. Sur un banc collé au mur sud était assis Nathanaël, faisant mine de mourir d'ennui. Je dus faire force pour ne pas éclater de rire devant la grimace qu'il esquissait.

-Bien, puisque la Princesse a enfin daigné montrer son joli minois, nous pouvons commencer, lança la jeune femme en me toisant d'un regard désapprobateur.

Nathanaël se leva en s'étirant avec lassitude puis vint se placer en face de moi. Nous nous assîmes l'un en face de l'autre, jambes croisées, et commençâmes les étirements en attendant le début de la chanson. Je haïssais la chorégraphie qu'avait choisie Maria pour le concours. Certes elle était belle, enivrante, et, bien interprétée, pouvait tenir scotchés tous les téléspectateurs, mais elle n'était absolument pas faite pour mon cas.

En terme de "parfaite communion entre les partenaires", cette danse battait le record, et nécessitait plus qu'une bonne connaissance des pas; une liaison intense entre les danseurs et une coordination parfaite étaient requises. Sans quoi, la fille- dans ce cas précis moi- se retrouverait à terre en moins de deux, avec un bras fracassé en bonus. J'avais visionné une vidéo que nous avait montrée la coach un peu plus tôt, et la complicité réciproque entre les deux exécuteurs de la chorégraphie m'avait immédiatement sauté aux yeux.

Je ne me sentais absolument pas capable de mimer une entente hors du commun avec quelqu'un comme mon partenaire actuel, sachant toute la douleur qu'il m'avait causée. Le jour où il avait décidé sur un coup de tête d'ignorer mon existence et de répondre à mes phrases par d'interminables silences, il avait tôt détruit.
Pourtant, la naïve que j'étais à continué à aller le voir et essayer de lui parler. À chaque fois, je me heurtais à un mur -si je ne me prenais pas un vent monumental.

Vains essais plus tard, j'avais enfin laissé tomber. C'était un comportement que n'avais absolument pas vu venir de sa part. Se détacher aussi froidement de moi, de nous, et tout plaquer pour je ne sais quelle raison, ça m'a fait mal.
Puis, très difficilement, j'avais réussi à tourner la page, et à oublier son existence pour -je l'espérais- l'éternité.

Mais avoue que tu apprécies toujours sa compagnie...
-La ferme! Fis-je mentalement.
Oh c'est las juste! Elle est où, la liberté d'expression, hein?
-Elle n'existe pas!
-Hope! Tu comptes te mettre au boulot ou rester là à contempler le mur? Réveille-toi un peu! On dirait que tu n'as pas dormi depuis des jours!
-Vous ne croyez pas si bien dire... murmurai-je.

Je glissai rapidement par terre, atterrissant en grand écart latéral. Je dus me rompre une articulation en essayant d'atteindre mon pied droit avec ma main gauche tout en maintenant la position initiale, mais j'y parvins.
Devant moi, Nathanaël entraînait ses... articulations?
Je n'avais aucune idée de ce qu'il faisait; ces étirements différaient de tous ceux que j'avais appris. Néanmoins, je décidai de faire comme si de rien était et commençai mes propres enchaînements à la barre.

La pratique de la danse contemporaine ne nous séparait pas de celle de la danse classique. Certains mouvements restaient les mêmes et les échauffements étaient quasi-identiques, la seule différence était la liberté du mouvement, qui était plus présente dans la danse contemporaine.

Nathanaël toussa, trouant le silence qui s'était installé dans la salle. Au même moment, Maria Parker reçut un coup de téléphone, qui l'obligea à s'absenter pendant quelques temps.

Nous restâmes seuls, lui et moi.

SHYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant