Chapitre 20

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Nous approchâmes l'entrepôt en catimini, puis parcourûmes les quelques mètres qui séparaient notre cachette de l'immense entrée éclairée en silence.

Je risquai un coup d'œil à l'intérieur. J'aperçus mon père, droit comme un piquet dans un costume gris, aux cotés de ma génitrice, aussi rigide qu'à l'accoutumée. Apparemment, ils étaient en pleine négociation. Mon père avait cette voix froide qui caractérisait ses colères les plus noires. Il ne valait mieux pas se trouver dans les parages lorsqu'il était dans cet état-là.

Il était dos à nous, ses phalanges serrées étaient blanches. Une veine bleuâtre saillait sur son cou. Il semblait dans l'une de ces rares colères qui s'emparaient de la raison, faisaient disparaître les scrupules, anéantissaient la pitié et défiaient la réflexion. L'homme en face duquel il était avait l'air de tenir un débat intérieur tumultueux. Sans doutes hésitait-il entre le fait de s'enfuir ou celui de risquer d'affronter mon paternel.

Ce qui était en soi, une très mauvaise idée.

Face à la colère irrationnelle de mon père, je me sentis vulnérable. Je ne l'avais jamais vu s'énerver autant. Au risque de me faire prendre, je pénétrai l'entrepôt discrètement et courus me cacher derrière les barils qu'il abritait en silence.

La première fois que j'étais venue ici, ma curiosité d'enfant m'avait poussée à chercher ce qui se trouvait à l'intérieur de ces conteneurs. Ayant échoué à en trouver l'ouverture, j'avais posé la question à mon père. Il était occupé, un téléphone collé à l'oreille, un autre à la main. Pourtant, il m'avait répondu:

-De l'essence.

Quand je lui avais demandé pourquoi stocker autant de combustible dans un entrepôt, il n'avait tout simplement pas voulu me répondre. Mais à présent, j'en venais à douter de chacune des paroles que mon père avait eu l'occasion de prononcer avant que je ne découvre ce qu'il faisait réellement de sa vie. Lui et ma mère.

Soudain, l'homme en face de mon père parla:

-Ce que vous avez fait n'était absolument pas dans notre contrat. Je croyais que le bateau qui allait exploser contenait des documents que vous vouliez faire disparaître, pas des personnes!

-Quoi qu'il en soit, vous l'avez fait, murmura mon père.

-Je ne savais pas ce que je faisais. Vous ne m'aviez donné aucune information concrète. Je refuse d'être votre complice dans une affaire de meurtre. Demain matin, j'irai faire ma déposition au poste de police.

Mon père grinça des dents, souffla, puis se pinça l'arrête du nez.

J'ignorais qui aurait bien pu être l'homme en face de mon paternel, mais en ce moment, je commençais à sérieusement craindre pour sa vie.

-Derreck, vous avez été l'un de mes hommes les plus compétents, votre morale aura causé votre perte. Je suis désolé, mais je ne peux pas vous laisser faire cela.

A la stupeur générale, il tira une arme à feu de sa ceinture, et la pointa sur son interlocuteur, qui leva les bras en l'air.

Le temps se suspendit. Mon cœur rata un battement.

Soudain, je fis quelque chose de stupide, de si stupide que seul quelqu'un comme moi pouvait le faire.

-Bonjour, Papa.   

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