Chapitre 3

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Une douce lumière balayait généreusement la pièce, trahissant les miniscules particules de poussière qui essayaient tant bien que mal de disparaître dans l'atmosphère.

Dans un silence magnifiquement reposant, elle laissait ses pieds glisser sur le bois vernis qui lui répondait d'un bruit familier.
Cette pièce était pour elle ce qui lui permettait de se sentir à sa place.

Pendant que ses membres enchaînaient des mouvements fluides tant de fois répêtés, son esprit se vidait de tous les tracas frustrants de la vie quotidienne.

La solitude était pour elle le remède à tous ses problèmes.
Elle se délectait de chaque petite parcelle de ce moment de bonheur, sachant que la réalité ne tardera pas à trouver la fissure de son mur de rêves, pour venir l'emmener de force dans son tourbillon indomptable.

Elle ne voulait pas y penser pour le moment.
Tout ce que son esprit désirait, c'était de pouvoir se libérer de son enveloppe charnelle, même si cela ne restait qu'une triste illusion.

Ce reflet qui bougeait gracieusement devant mes yeux, c'était moi.
C'était moi telle que j'étais vraiment, une fille passionnée et vivante, qui avait des sentiments, des vrais, et des centres d'intérêt.

M'inscrire à des cours de danse était la meilleure chose qu'ait fait ma mère en toute une vie.
J'évitais ainsi la maison désertée, l'atmosphère oppressante y régnant et l'interrogatoire de mes parents à propos de mes études.

J'échappais à cette vie où plus rien ne m'y retenait vraiment, si ce n'est Athéna ou ma passion pour la danse.
Je me débattais pour oublier les événements de la journée qui s'obstinaient à revenir hanter ma mémoire et détruire encore plus mon amour propre.

J'ai agi comme la plus stupide de tous les temps.
Et je ne crois pas avoir vécu une journée aussi humiliante que celle-ci.

La matinée c'était plutôt bien passée. J'ai occupé mon temps à soigneusement éviter le nouveau.
Noah Hamilton.
Son nom ne veut bizarrement plus se décoller de mon esprit.
Puis...
Puis il a été avec moi en art plastique.
Et son travail a payé pour ma maladresse.
Un coup de coude, et tout est parti en fumée.
Je n'ai même pas réussi à aligner des excuses correctes, ma langue refusait catégoriquement de m'obeir.
Mais ce fut lui qui m'a asséné le coup de grâce.
Au lieu d'être en colère contre moi, il a souri. Il a souri de ses dents magnifiquement parfaites en prétextant que ce n'était pas grave.
Et les regards se sont posés sur nous.
Puis, je ne m'étais pas contrôlée.
Mon coeur avait commencé à battre violemment contre ma poitrine, et ma tête s'était mise à tourner.
J'ai quitté la salle sous les regards indignés des élèves.
Heureusement pour moi, miss parfaite avait finalement servi à quelque chose.
Elle s'était accaparé Noah Hamilton tout le reste de la journée.
J'ai quand-même veillé à l'éviter.

Et à présent, ma conscience s'en sert pour m'en faire payer les frais.
J'aurais au moins du m'excuser.
Ce que je n'ai pas fait.
Et que je n'arriverai malheureusement jamais à faire.

Le soleil avait quitté le zénith depuis bien longtemps, et les corbeaux en cette fin d'hiver occupaient leur journée à croisser sur les passants.

Une constatation vint me réveiller de ma transe.
J'avais tardé.
Puis soudain, j'ai réalisé quelque chose de beaucoup plus dur à assimiler.
Je ne manquerai à personne.

Mes pensées continuaient à accaparer mon esprit tandis que j'étirais gracieusement mes bras.

Quand je serais rentrée, ma mère serait comme d'habitude encore au bureau, et mon père, enfermé éternellement dans le sien, au tout dernier étage du manoir.

Je déjeunerai avec lui dans une atmosphère éternellement lourde accompagnée d'un silence pesant et lourd, tout le contraire de celui de cette salle, si reposant.
Il appellera la gouvernante, qui s'empressera d'avoir recours à une assistante pour débarrasser.
Il se lèvera, m'interdira de le déranger et s'en ira.
Ma mère ne serait pas là.
Je monterai dans ma chambre, faire mes devoirs et pleurer jusqu'à en assécher mes yeux, puis un dîner me sera apporté.
La servante me regardera avec pitié, puis s'en ira en blâmant mes géniteurs.

Ma vie est un épisode qui se répète sans arrêt.
Diffusé dans un lecteur dont on aurait perdu la télécommande.
Malheureusement pour moi, ma vie n'est pas celle d'un de ces feuilletons hollywoodiens où le tout est peint en rose bonbon à paillettes.
Elle n'est pas non plus une vie d'une adolescente normale.
Je suis l'esclave de mes géniteurs.
Je suis celle qu'ils ont voulu que je soit.
Mais encore, la vie que je méne ne frôle pas encore la perfection à leur goût.

Selon eux, une fille de mon niveau hiérarchique social ne mériterait pas de s'abaisser à aller à une école pour adolescents normaux.
Il faut aussi que mon établissement scolaire soit parfait.
Des cours à domicile était la solution.
Je me suis durement opposée à cette idée.
J'ai gagné.
Mais d'un côté, j'ai aussi perdu.

"Je ne te savais pas si accrochée à la vie banale des gens pauvres" avait annoncé mère.
"Tu nous déçois, tu nous déçois énormément" avait ajouté mon paternel.
Cela m'a fait l'effet d'un millier de couteaux s'acharnant à me laminer impitoyablement le coeur.
Quoi que je fasse, j'en demeurais néanmoins une déception pour mes parents.

Et ça avait toujours été ainsi.

Mais je réussissais à rester indifférente.

Enfilant un pull à col rond en fine laine, je jetais un coup d'oeil à l'extérieur.
Mes parents travaillaient encore à cette heure-ci.

Bouclant la ceinture de mon jean, je me pressai de quitter l'endroit, pour éviter de tarder encore plus. Malgré la fin de l'hiver qui approchait à grands pas, il faisait encore trop froid pour se permettre de porter des vêtements légers.

Surtout pour moi, étant de nature très frileuse.

Je claquai la porte de la salle d'entraînement derrière moi, et descendis les quelques marches.

La dame de l'accueil me reçut avec son habituel sourire charmant sur le visage.
Quelques mots de politesse, et je me permettais de quitter cet endroit le coeur lourd.

J'adorais être ici.
Malheureusement, tous les bons moments ont une fin.

Après quelques minutes de marche, j'arrivai enfin devant l'imposante demeure où j'ai vécu la plus grande partie de mon existence.
On m'ouvrit la porte, et je remerciai poliment la gouvernante de s'être donnée ce mal.

Elle m'annonça que le dîner serait bientôt servi, et opinant de la tête, je gravis les marches de l'escalier en murmurant un inaudible merci.

La soirée promettait d'être longue...

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