Cœur glacial

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Ce jour là, les cloches sonnèrent l'heure du deuil. Depuis maintenant huit ans, Ador n'avait connu que la mort accidentelle d'un vieillard, ou celle d'un homme ayant trébuché dans des escaliers un peu trop raides, d'un chasseur jamais revenu, d'une femme enceinte n'ayant guère survécu à son accouchement... mais depuis huit ans maintenant, personne n'avait enterré de pauvres innocents, morts brutalement, à cause d'une créature qui avait semé le chaos jadis.

Ador était comme replongé dans le passé. Un passé sanglant que personne n'avait oublié, un passé que bon nombre aurait souhaité ne jamais revivre. Le ciel était gris pour une fois, le vent s'était levé et les vagues ne chantaient pas, elles hurlaient leur peine en frappant les falaises avec une telle violence que leur vacarme brouillaient les paroles du brave homme qui avait osé prononcé un discours et des prières en hommage aux victimes.


Depuis la haute tour du palais, les bras croisés sur sa poitrine habillée d'une chemise trop large, Yselda observait ces individus brûler les corps de leurs voisins, leurs amis, leurs conjoints. Elle n'arrivait pas à s'imaginer que certaines des victimes faisaient partie de ces hommes qui avaient tant ri aux pitreries d'Archibald.

— Pourquoi ne portes-tu pas la tenue de chevalier ?

Yselda tourna le dos à la fenêtre et fit face à son ami, portant les couleurs du Royaume, les mêmes couleurs que Djafar faisait porter dans le temps. Elle les portait elle aussi, elle avait renoncé aux couleurs de son armée quand elle avait compris qu'elle avait été décimée et l'incroyable armure qu'on lui avait conçu pourrissait dans un grenier, quelque part.

— Pas aujourd'hui, pas lors d'un jour de deuil.

— Justement, on porte la tenue les jours de deuil plus que les autres jours.

— Je m'en fiche, Archibald, je n'ai pas envie de suivre le troupeau comme un vulgaire mouton. Si je suis ici, c'est pour parler à Nathaniel.

— Au roi, tu veux dire, l'interrompit son ami.

— Ta loyauté m'étonnera toujours.

Archibald haussa les épaules et s'approcha de la fenêtre à son tour, pour jeter un coup d'œil dehors et voir cette fumée noire s'élever dans le ciel et s'envoler avec le vent des marées. Il posa sa main sur le manche de son épée, les lèvres pincées, il songea à tous ses camarades ivres qui n'avaient rien vu venir dans cette Taverne qu'il affectionnait tant. Où allaient ils bien pouvoir boire jusqu'à en être soûls maintenant ?

— Vous vouliez me voir ?

Tout deux se retournèrent pour faire face au roi qui se tint devant eux, vêtu d'une noble tenue blanche et bleu comme le ciel, le menton relevé et une légère barbe naissante. Ses cheveux blonds tombaient en boucle sur ses épaules. Deux gardes se tenaient à côté de lui, comme si Archibald et Yselda pouvaient être dangereux.

— Pourquoi n'êtes vous pas dehors à soutenir votre peuple ? demanda Yselda.

— Pourquoi ne portez-vous pas votre tenue de garde royale ? répondit Nathaniel.

Yselda plissa les paupières tandis qu'Achibald se tenait tel un piquet, imitant geste pour geste les deux gardes qui accompagnaient le roi.

— Je suis venue vous parler de la nuit dernière...

— Je pensais avoir été clair, l'interrompit Nathaniel, cette affaire est close, la bête a été transportée ailleurs.

— Où ça ? Vous l'avez jetée de la falaise ? Comme tous les traîtres qui vous ont offensé depuis votre couronnement ?

— Je t'interdis de me parler comme cela, je pourrais t'éliminer en un claquement de doigt.

— Faites le donc, ça m'épargnera vos sottises, mon roi...

Le Maître des Dragons : La Vallée OubliéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant