de profundis clamavi

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de mes poumons est sorti un hurlement.
il aurait pu être de désespoir ;
mais c'est celui du sentiment
qui marque la fin du cauchemar.

des princes s'envolent des profondeurs
le bras pâle et les joues brillantes
de leurs lèvres s'échappe un chœur :
ils scandent sans peur de la redescente.

cuirassés au bouclier incrusté d'or
démons à l'auréole de boucles blondes
pourtant si bien armés contre la mort
eux et moi déclineront dans la même onde.

puisque je suis eux et ils sont moi,
dans le même entrechat nous nous mêlons
chacun d'entre eux sera couronné roi
tous les autres seront félons.

et sous leur doux gant de velours
serpente une fragile main de verre
sous leur habit toujours au goût du jour
chatoient les mille feux des Enfers.

les bottes de ces magnifiques dandies
claquent sur l'ancien plancher,
ils valsent ensemble sur ma terre conquise
ils l'enflamment de leurs paroles enivrées :

"ma foi très cher j'admire cette allure,
et ce veston vous suit à merveille !
et ce bruit qui court à propos d'une cure...
abandonnez-la donc au sommeil !"

derrière ma figure est une maison hantée
loin d'ici le fantôme de Canterville
mais plutôt des beautés ensanglantées
le sourire pur et la courbette facile :

"loin de moi l'idée de vous importuner
mais celui-ci ne mérite pas tant d'attention
veuillez m'accorder une danse dérobée,
que je vous expose ses intentions."

ainsi nous virevoletons sur l'humaine piste,
avec sous la langue le goût du miel ;
et dans l'œil du traître égoïste
s'allongent tous ces paradis artificiels.

"voyez, Madame, la vérité bien en face :
le dessein de ce sinistre personnage
est de décupler toutes vos angoisses ;
voici ce qui se cache sous son doux visage.

ses prunelles froides m'ont déclamé
que je lui dois mon existence même ;
que je l'aime, serait-ce vrai ?
que de son temple sacré je suis l'anathème.

et, ma chère amie, je tremble de rage
à l'idée de prononcer son nom ;
j'ai peur que si je tiens ce langage,
je serais à jamais frappé de sa malédiction."

et d'un fluide geste il se détache
emportant derrière lui le Cosmos,
le tissu de la réalité s'entâche
ses mielleux regards me glacent les os.

sur ses prétentieuses lèvres je peux lire
"n'oubliez pas que rien de tout cela n'existe
ma chère, il y a une fin à tout plaisir :
et un début à toute souffrance plus réaliste"

chacun de ces princes magnanimes
tente de s'attirer mes sympathies :
le vin au menton et le regard aux abîmes
j'oublie à quel point ils doivent être haïs.

ad nauseamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant