JE SAVAIS que la fuite n'était qu'une illusion. Beatrice me laissait partir un peu à la manière d'un chat qui laisse sa souris s'échapper : uniquement pour mieux l'attraper par la suite.
C'était un jeu. Tout n'était qu'un jeu pour eux, un jeu de pouvoir où je n'étais qu'un pion. Je ne connaissais pas ces trois invités dans le fumoir, mais j'avais ma petite intuition sur leur identité : des personnalités puissantes, riches et ayant quelque chose à offrir à Beatrice. Cette femme, Magda, avait eu l'air surpris de me voir vivante. Qu'avait-elle vu d'autre pour être si incrédule ?
Et je ne voulais vraiment pas savoir ce que Beatrice avait fait subir à ses autres favorites pour qu'elles deviennent aussi... absentes. Vides. Dépourvues de tout ce que je m'estimais heureuse de posséder, même si c'était une mémoire défaillante et l'affreuse envie de rendre le déjeuner que je n'avais pas eu.
Les salons défilaient sous mes yeux, tous identiques et pleins de gens curieux qui se massaient autour de moi, me bouchant le passage. J'usai de mes coudes, marmonnant des excuses dans ma barbe dans mon espoir de mettre le plus de distance entre Beatrice et moi.
J'émergeai enfin dans le hall d'entrée et fus aveuglée par les lumières. Après la pénombre du fumoir et des salons, c'était un changement que j'accueillis avec désagrément. Cela ne m'empêcha pas de tituber sur le plancher ciré et de fondre le plus rapidement possible vers la seconde arche, évitant l'escalier. Je ne voulais pas prendre le risque de tomber sur plus de sorcières que nécessaire.
J'étais surprise de ne pas avoir déjà été rattrapée par les deux chiens de garde de Beatrice. Ni par Rose. Le sang me martelant les tempes, j'accélérai encore le pas, m'engouffrant dans la seconde enfilade de pièces.
C'était une salle à manger démesurée. Une immense table, prête à accueillir près d'une cinquantaine de convives, était recouverte de mets divers et variés. Je voyais aussi bien des volailles que des montagnes de gâteaux. Au centre de la table trônait une véritable fontaine de champagne.
Je ne prêtai aucune attention aux serveurs et aux cuisiniers qui agitaient des plateaux d'entremets et des flûtes sous mon nez. Je les dépassai également, comme je l'avais fait avec tous les autres. Il y avait une porte entrouverte au fond de la pièce. Je ne savais pas où elle menait, mais elle était ouverte.
Je devais tenter ma chance.
Je me glissai par l'ouverture et me retrouvai dans une pièce ronde. Une statue d'une jeune femme portant une corne d'abondance se dressait en face de moi, ainsi que quelques banquettes accueillant des invités discutant à voix basse. Une douce brise me caressa la joue et je me rendis compte que ma peau était véritablement enflammée. J'étouffais sous le col de ma veste et, d'un geste nerveux, je tentai de libérer ma nuque de l'entrave.
En contournant la statue, je découvris encore une autre porte, elle aussi ouverte, qui elle donnait sur un escalier descendant.
Il menait au jardin.
Sans plus réfléchir aux conséquences, je m'élançai vers le jardin, laissant derrière moi les salons enfumés et les sorcières cruelles. Seul l'air frais de la nuit comptait désormais.
En pleine nuit, le jardin m'était inconnu. Il n'avait plus rien à voir avec celui que je contemplais tous les jours par ma fenêtre.
Il était mille fois mieux.
Le vent soufflait légèrement, rendant cette nuit de septembre plus froide qu'elle n'aurait dû l'être. Tout autour de moi se dressaient des buissons taillés, des fontaines qui glougloutaient et des chemins tracés dans la pelouse parfaite.
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WILLOW
FantasyJe ne suis pas humaine. Du moins, je ne le suis plus. J'ignore ce que cette sorcière m'a fait sur cette île, et surtout comment elle a pu repousser ainsi les limites de la vie et de la mort. Elle veut faire de moi son instrument. Je ne suis pas la p...