Chapitre XIII

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     LA PORTE DE LA CUISINE était habilement dissimulée derrière un des nombreux panneaux de bois de la salle à manger.

Mes doigts trouvèrent l'encoche qui permettait d'ouvrir le passage. Le panneau bascula sans un bruit et dévoila un escalier qui descendait dans les ténèbres. L'air était plus chaud que dans le reste du manoir et charriait des effluves de nourriture. Des éclats de conversations me parvenaient et manquaient d'être noyés par la cacophonie des casseroles qui se heurtaient entre elles.

Le plancher de noyer ciré avait laissé sa place à un sol de pierre sous mes pieds nus. Je m'engageai dans l'escalier et le panneau se remit en place.

La cuisine baignait dans la lueur dorée des lampes à gaz. Du bas des marches, je voyais le ballet effréné des cuisiniers. Je comptai cinq têtes qui s'affairaient à tout récurer, à remuer le contenu de grandes casseroles ou à ciseler différentes herbes et légumes. Et, au-delà de toute cette agitation, une porte entrebâillée.

Mon échappatoire.

Sofia avait eu raison. Ma présence fut remarquée, quelques toques se tournèrent vers moi, mais leur attention se détourna rapidement. Après quelques secondes d'hésitation, je m'élançai à travers les différents plans de travail, évitant de justesse les différents pièges tendus par les flaques d'huile, les couteaux qui traînaient et les cuisiniers qui manquaient de me piétiner dans leur hâte.

J'atteignis enfin la porte et alors que je m'apprêtai à me faufiler à travers l'ouverture, j'entendis quelque chose qui me fit me figer sur place :

– Étrange, cette fille, marmonna un des cuisiniers. Vous avez vu ses lunettes ?

Heureusement, une femme vola à mon secours inconsciemment :

– On ne te paye pas pour poser des questions ! cingla-t-elle. Alors occupe-toi de tes oignons et ne fourre pas ton nez dans des affaires qui ne te concernent pas.

Je n'attendis pas mon reste et filai aussitôt, quittant la chaleur moite et l'atmosphère tamisée de la cuisine.

L'air frais m'enveloppa immédiatement. Je me trouvai dans une petite cour extérieure, les murs imposants du manoir dans mon dos et un escalier en spirale donnant sur le jardin en face de moi.

Je gravis les marches en grimaçant. Des petits cailloux m'entaillaient la plante des pieds et je me maudis pour ne pas avoir pris la peine de chercher des chaussures. Tant pis, me résonnai-je, il est trop tard pour faire machine arrière.

Le jardin en plein jour semblait plus petit, moins impressionnant, ayant perdu son manteau de mystères qui l'enveloppait une fois la nuit tombée. L'escalier me mena non loin de la rotonde, juste en-dessous pour être précise, et je me trouvai à l'entrée de ce qui s'apparentait être un véritable labyrinthe végétal. Cette fois, je n'avais pas Rose pour me guider.

Il ne fallait pas que je me balade à découvert : je serais visible depuis les fenêtres du manoir. J'avançai à nouveau courbée, traversant l'allée qui m'entailla les pieds pour aller me réfugier derrière une haute haie. Le jardin semblait paisible. Des oiseaux chantaient depuis les arbres, les fontaines glougloutaient toujours, et j'entendais l'océan plus que je ne le sentais. L'air était presque trop froid pour sortir sans manteau mais je serrai les dents et continuai mon avancée.

Chaque pas était calculé. Je marchais dans l'herbe pour éviter les graviers et ne pas laisser de trace de mon passage. A chaque coin et recoin du labyrinthe, je vérifiais que la voie était libre. Je croisai trois Animés qui montaient la garde et pris soin de faire un large détour pour les éviter.

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