LA VILLE DE SEZON était complexe. Après mon petit larcin, je rassemblai mon courage pour partir à l'exploration de cet endroit qui, autrefois, avait été mon chez-moi. Je sortis de l'ombre et déambulai sans destination précise dans les rues, observant avec grand intérêt tous les détails qui rendaient Sezon vivante, permettant à mon esprit d'associer certains éléments à des souvenirs que je pensais perdus.
Sezon était une mosaïque composée aussi bien de merveilles que de misère. Construite à la manière d'un escalier, épousant la forme naturelle de l'île, ses pieds baignaient dans l'océan. D'une terrasse surplombant le port, je pus apprécier à loisir le ballet des navires qui quittaient et entraient au port. Ils n'avaient rien à voir avec la petite barque du vieux Charlie ; c'étaient des monstres des mers, des créatures dont les voiles flottaient au vent telles des crinières sauvages et au ventre creux dans lequel rugissait un moteur qui les propulsait à travers les flots.
Je n'osai pas m'approcher plus près du port. Il y avait tellement de navires que j'étais bien incapable de localiser celui de Beatrice et je ne voulais pas risquer de tomber sur une de ses sorcières. Je préférais l'agitation de la ville à la nervosité du port.
Les véritables merveilles de Sezon, outre son port, ne se trouvaient pas à mon niveau. Il m'aurait fallu emprunter le funiculaire pour aller admirer les bâtisses de pierres blanches et d'or qui ornait le sommet de l'île un peu à la manière d'une couronne trônant sur la tête d'nu roi. Une construction en particulière attirait l'œil même depuis la terrasse où je me trouvais ; elle scintillait sous le soleil d'automne, ses étendards parme et argenté ondulant. Le palais royal.
Je décidai de ne pas m'aventurer dans ces quartiers pour plusieurs raisons. La première était purement pratique : le funiculaire n'était pas gratuit et mes poches étaient toujours désespérément vides. Ensuite, je craignais d'y faire de mauvaises rencontres, de tomber sur des individus qui auraient pu se cacher dans les recoins sombres du fumoir de Beatrice. De cette soirée je ne me souvenais que de Magda ; ses compagnons n'étaient que des silhouettes sans visages, des gentlemen qui fumaient la pipe et me remettraient sans hésitation à Beatrice pour quelques miettes de sa reconnaissance.
Je me réfugiai alors dans les bas-quartiers de Sezon, où la misère régnait d'une main de fer. Les usines et les machines étaient ses intendants et faisaient marcher au pas toute la population, imposant une cadence folle. Les travailleurs, la mine couverte de poussière et creusée par la fatigue et la faim, se pliaient à leurs exigences. Je voyais, au coeur même des usines, aussi bien des hommes forts que des vieilles femmes courbées par l'effort et des enfants, crasseux et silencieux alors qu'ils alimentaient les machines ou poussaient des chariots, mettant en commun leurs maigres forces dans l'espoir de faire une différence.
Avais-je eu une telle vie avant d'atterrir entre les mains des sorcières ? Avais-je été une de ces enfants enfermés dans ce monde de poussière et d'engrenages, où le ciel n'était jamais bleu mais constamment recouvert d'épais panaches de fumée qui cachaient le soleil ? Si oui, aurais-je été condamnée à grandir, à vivre puis à mourir dans mon travail ?
Ces interrogations en soulevaient d'autres, créant une véritable toile de questions sans réponses qui se tissait à mesure que j'avançais dans la ville.
Oui, Sezon était une ville complexe ; un peu trop pour que je puisse la comprendre au premier coup d'œil.
Mais s'il y avait bien une chose dont j'étais certaine, c'était que j'étais suivie.
L'ombre était apparue au moment où je quittais la terrasse. J'avais voulu y rester plus longtemps pour admirer la ville et peut-être établir une carte de ses rues sinueuses et de ses artères bouchées, mais je m'y sentais étrangère, je n'y avais pas ma place. Les gens commençaient à dévisager cette fille vêtue d'habits trop grands qui la noyaient tout en sirotant leur café. J'avais même aperçu un serveur pincer les lèvres à ma vue ; il avait été préférable que je parte avant de me faire encore plus remarquer.
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WILLOW
FantasyJe ne suis pas humaine. Du moins, je ne le suis plus. J'ignore ce que cette sorcière m'a fait sur cette île, et surtout comment elle a pu repousser ainsi les limites de la vie et de la mort. Elle veut faire de moi son instrument. Je ne suis pas la p...