Chapitre XXI

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     LADY TRENTON FIT SONNER UNE CLOCHE dès que nous fûmes confortablement installées dans deux petits fauteuils dans une pièce à l'étage, au coin d'un autre feu. Le tic-tac de l'horloge et le crépitement des bûches furent interrompus par la venue d'un domestique, un homme à la moustache cirée qui s'inclina respectueusement.

– Wilson, faites-nous le plaisir de nous servir le thé, je vous prie, commanda Lady Trenton en reposant ses pieds sur un tabouret coiffé d'un coussin brodé.

Le domestique disparut aussitôt comme s'il n'avait jamais été là.

– Si Tom ne m'avait pas apporté la preuve de ta venue en personne, je ne l'aurais jamais cru, commença-t-elle en m'observant attentivement. Voyons, qui aurait écouté un orphelin aveugle babillant à propos d'une fugitive intéressante ?

– Je savais qu'il travaillait pour quelqu'un. Personne n'est aussi bienveillant à Sezon.

Ou ailleurs, pensai-je. Il n'y avait pas que l'Autre Monde qui ne donnait jamais rien sans retour. C'était une loi universelle, respectée par tout le monde et partout dans l'Archipel. Il allait falloir que j'apprenne cette leçon un jour, si je voulais survivre.

– Tom ne travaille pas pour moi, ni pour personne d'ailleurs. Nous avons conclu un marché honorable qui nous profite à tous les deux : il m'indique des individus qui pourraient avoir besoin de mon aide, et je m'assure de lui fournir des repas chauds et un toit quand il en a besoin.

Elle se pencha vers moi, l'air intense. C'était une belle femme et je ne manquais pas de remarquer qu'elle portait un simple anneau d'or à l'annulaire. Où était donc Lord Trenton ?

– Je ne suis pas ton ennemie, me promit-elle. Je ne suis pas là pour te dénoncer ou t'enfermer. Je veux juste t'aider. N'en as-tu pas assez de fuir ?

– Alors prouvez-le ! la provoquai-je. Je suis chez vous et je suis prête à vous entendre. Montrez-moi que je peux vous faire confiance, comme Tom le fait, comme Temperance le fait.

L'arrivée du thé interrompit la conversation. Wilson déposa sur un plateau une théière fumante ainsi que deux tasses.

– J'ai pensé que mademoiselle apprécierait manger quelque chose, fit le domestique.

En effet, il déposa une assiette débordante de biscuits et de pâtisseries pour accompagner le thé.

– Merci beaucoup. Il est vrai que j'ai faim, reconnus-je.

– Vous êtes un amour, Wilson. Allez donc vous coucher, il est bien assez tard, ordonna Lady Trenton.

– Mais le plateau...

– Je m'en occuperai. Je l'apporterai en cuisine, ne vous en faites pas. Bonne nuit, Wilson.

Le domestique s'inclina à nouveau et, à l'instar de Temperance, s'en alla pour le reste de la nuit.

Lady Trenton, en bonne hôtesse, me servit une tasse de thé. La boisson était sombre et brûlante ; je me servis un biscuit en attendant qu'elle refroidisse. Cela faisait des années que je n'avais pas mangé quelque chose de sucré et je manquai de gémir de plaisir. Lady Trenton eut la grâce de m'ignorer en portant sa tasse à ses lèvres.

– Vous avez dit que vous n'étiez pas disposée à croire Tom, repris-je après avoir terminé mon biscuit. Pourquoi avez-vous changé d'avis ?

Elle se cala dans son siège.

– Tom croise beaucoup d'individus remarquables dans les rues de Sezon. De futurs génies, des artistes en devenir, des hommes et des femmes à l'âme pure et bienveillante. Et des sorcières.

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