Chapitre XXXVII

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     JE N'EUS PAS MAL, au contraire. Un doux sentiment de libération m'envahit et, si je l'avais pu, j'aurais poussé un soupir de soulagement.

      Pour la première fois depuis un long moment, je me retrouvai dans la dimension sombre et hypnotique de l'Autre Monde. 

      J'étais de retour sur le bateau, au beau milieu de l'océan enragé, bien au sec et à l'abri de ses vagues mouvementées. L'air était électrique et je sentais le goût métallique de l'orage approchant sur ma langue. 

      Tu as échoué

      La silhouette humanoïde de l'Autre Monde se matérialisa devant mes yeux. Je ne bougeai pas d'un cil. 

      – Je ne peux pas accomplir de miracles. 

      Tu nous as menti !

      Je secouai la tête. 

      – Je suis retournée sur cette île pour accomplir votre volonté, protestai-je fermement. Malheureusement, Beatrice m'a échappé. 

      Les ombres qui constituaient l'apparition se mirent à trembler et un grondement s'échappa de sa bouche informe. 

      – L'erreur est humaine, et je ne peux pas échapper à ma condition. 

      J'avais beau me tenir dans cette dimension étrangère et aux lois qui m'étaient encore inconnues, je n'oubliais pas que je restais mortelle. 

      La sorcière va accomplir son dessein ! Elle va utiliser notre pouvoir pour renverser l'ordre naturel !

      – Sans ses catalyseurs, elle n'est rien de plus qu'une sorcière très puissante, tentai-je de raisonner. Elle n'ira pas bien loin, surtout pas après ce qui s'est passé ce soir. Un tel incident aura des conséquences... 

      Il ne devrait pas y en avoir !

      – Pourquoi lui avoir donné les moyens de vous causer du tort ? 

      Un puissant rugissement me déchira les tympans. 

      Nous ne lui avons rien donné ! Elle nous a volé !

      Le bruit diminua d'intensité jusqu'à ne devenir qu'un sourd bourdonnement. 

      Tu nous as menti. Tu as promis de faire preuve de retenue et de ne pas utiliser la magie. Et te voilà. Nous voyons les premiers signes de ta déchéance, petite menteuse.

      La silhouette fit un pas démesuré, balançant sa jambe trop grande vers l'avant dans un simulacre de démarche humaine. Elle clignotait comme un phare dans la nuit. 

      Le sommeil te fuit, tu cherches ce qui ne peut que te faire du mal...

      – Je ne cherche rien du tout.

      Menteuse !

      Une forme apparut sur l'océan. C'était une petite pièce éclairée d'une lueur blafarde à laquelle il manquait un quatrième mur, me permettant d'observer ce qui s'y passait. C'était comme au théâtre – si l'on admettait que les manipulations de l'Autre Monde avait une quelconque portée artistique. 

      Deux personnes se faisaient face, parfaitement immobiles, tels un couple d'acteurs s'apprêtant à jouer leur scène. Elles n'attendaient que le signal du scénariste. 

      L'Autre Monde siffla le début de la scène avec une bourrasque cinglante. 

      Elles se disputaient. Je voyais des lèvres s'agiter et je pouvais presque apercevoir les mots, pleins d'outrage et ayant pour but de faire mal, voler entre eux. 

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