Chapitre XIX

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LE FUNICULAIRE GRAVISSAIT lentement mais sûrement la pente. Collée à la vitre après avoir repoussé le délicat petit rideau de dentelle, j'observais son ascension avec une angoisse que mon admiration pour la technologie ne parvenait pas à apaiser.

      La gare avait disparu au détour d'un virage il y a quelques minutes déjà, et la voix de Tom brisa ma contemplation : 

      – Nous y sommes bientôt, annonça-t-il. 

      – Les hauts-quartiers de Sezon, murmurai-je en tournant mon attention vers le sommet de la pente. Qu'est-ce qui nous attend là-haut ? 

      – Une sorcière assoiffée de sang et probablement un contingent de Frères enragés de voir leurs collègues morts. Je pense qu'on aura un bel accueil. 

      – Et moi je pense que trop de mensonges nous tueront plus efficacement que la magie ou les pistolets des Frères, Tom. Pourquoi continuer à dissimuler la vérité ? 

      Tom s'était réfugié sur une des banquettes et disparaissait presque au milieu des coussins colorés. Il se renfrogna. 

      – Je ne suis pas le seul à mentir ici. 

      – Non, effectivement, reconnus-je. Je ne t'ai rien dit parce que je ne te connais pas et que je ne sais pas si je dois te faire confiance. 

      – Pourtant tu m'as suivi et tu étais bien contente d'avoir mon aide. 

      Je détectai l'aigreur dans sa voix. Il se sentait trahi. 

      – J'étais désespérée, corrigeai-je en secouant la tête. Et tu m'offrais de quoi survivre, je n'allais pas refuser ! 

      Je tournai le dos à la fenêtre pour faire face à Tom. S'il avait pu le faire, j'étais certaine qu'il me dévisagerait et me lancerait regard noir sur regard noir.

      – Tu agis comme si je te dégoûtais, comme si j'avais fait quelque chose de mal, Tom. Je n'ai rien fait qui le mérite. 

      – Tu as tué une femme. 

      – Une sorcière. 

      – Un être humain, contra-t-il. Je suis en train de me demander si ma vision ne se moquerait pas de moi. Je te vois toujours comme une personne intéressante malgré tout le sang que tu as sur les mains. 

      Je me retins de lui faire remarquer qu'être intéressant ne rimait pas toujours avec être bon. 

      – Un être humain, si tu insistes. Un être humain qui participe à des rituels sordides sur une île maudite. Un être humain qui suit aveuglément une femme, une sorcière qui prétend être une déesse. Sais-tu seulement ce qu'elles m'ont fait ? En comparaison, mes erreurs apparaissent être dérisoires. 

      Le silence régna un bref instant.

      – Je ne réalise pas, tu sais, lui confiai-je ensuite. J'ai longtemps cru que je mourrai là-bas, sur cette île. Je ne sais pas si être ici est mieux. Il m'avait prévenue. Je ne suis plus qu'une proie, Tom. Et je ferai tout, je dis bien tout, ce qui est en mon pouvoir pour survivre encore un peu, pour voir un autre jour. Quitte à devenir le prédateur. 

      Je voyais enfin ce que l'Autre Monde voulait. Il ne réclamait pas le sang de Beatrice uniquement pour éliminer la menace qu'elle représentait pour cette dimension. Il voulait la voir morte pour me préserver car, tant que je possédais en moi cet éclat de l'Autre Monde, ce qui m'arrivait avait des conséquences sur son sort. 

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