Chapitre XXIII

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     LE DÉJEUNER FUT SERVI, le vin fut versé dans les verres et les assiettes furent remplies de viande en sauce, de pommes de terres et de légumes verts. Le tout avait l'air appétissant, bien plus que les restes que j'avais jusque-là grappillés sur les marchés de Sezon, mais je n'avais pas faim. En réalité, je n'avais plus faim.

L'ambiance était tendue. Elizabeth s'agrippait à son verre de vin et Tom refusait toujours de reconnaître mon existence à ses côtés. En face de moi, Temperance avait l'air bien trop fière d'elle pour que j'aie l'esprit tranquille.

Je jouais avec la nourriture dans mon assiette, repoussant les éléments du bout de ma fourchette, les oreilles bourdonnant. Goûter au vin me tentait de plus en plus, juste pour éloigner la fatigue qui menaçait de me tomber dessus telle une chape de plomb et pour tester mes limites. Comme l'avait prédit Elizabeth, la magie protégeait mon corps dans une certaine mesure, si l'on ignorait le soin qu'elle prenait à lentement dévorer mon esprit. Étais-je capable de finir soûle si je finissais ce verre, puis encore un autre ?

Je finis par céder et à prendre une longue gorgée du liquide bordeaux, toujours sous l'oeil scrutateur de Temperance. Elle rompit le silence de sa voix cassante :

– Je pourrais t'apprendre, tu sais. A te contrôler, à maîtriser cette force, et bien d'autres choses.

Sa bouche se tordit comme si les prochains mots la blessaient alors qu'ils tentaient de se frayer un chemin entre ses lèvres minces.

– Être une sorcière ne consiste pas seulement à lancer des sorts à tout va. La confection d'amulettes pourrait être une alternative prudente à ton problème.

En réponse, j'optai pour la diplomatie et reposai mon verre, acceptant sa proposition d'un hochement de la tête et d'un remerciement court.

Elizabeth en profita pour intervenir enfin, encore un peu secouée des derniers événements mais déterminée à dire ce qu'elle avait à dire. On ne pouvait pas lui enlever cette qualité qu'était la ténacité.

– Cette nuit, je n'ai pas eu l'occasion d'énumérer les quelques règles que tout le monde se doit de respecter sous ce toit. Elles ne sont pas là pour te restreindre ou t'enfermer, mais pour nous protéger tous ; d'ailleurs, tu es libre de quitter cette maison à tout moment.

Elle marqua une pause, juste un instant, le temps de refermer soigneusement son journal devenu inutile, ignorant l'encre qui avait tâché la page immaculée.

– Même si nous préférerions que tu restes parmi nous. Je te demanderai juste de ne pas t'aventurer hors de ta chambre lorsque je reçois des invités qui ne comprendraient pas mes motivations. Tu seras avertie, bien entendu. Toute la maison t'es accessible mais je t'encourage à respecter les quartiers privés de chacun. Personne n'aime que l'on fouille dans son intimité.

Quels secrets cachait-elle ?

– Enfin, sache que le jardin est un endroit où je n'autorise pas la pratique de la magie et où je te demanderai de diligemment porter tes lunettes. Vivre en ville à de nombreux avantages, mais le premier désavantage qui me vient à l'esprit est l'horrible manque de retenue de nos voisins, qui se jugent habilité à se mêler d'affaires qui ne les regardent pas.

Elle m'adressa un sourire parfait, du genre qui faisait briller ses yeux et creusait ses pommettes.

Ce sourire était différent de ceux qu'elle arborait la veille. Il était faux, artificiel, conjuré pour faire face à un interlocuteur qu'elle ne parvenait pas à juger parfaitement.

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