Chapitre XXIX

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MA MAGIE FUT PLUS RAPIDE QUE MOI.

La lame se ficha dans un mince bouclier miroitant, me laissant bouche bée. Tout mon corps était encore tendu et prêt à encaisser le coup qui ne viendrait jamais.

Le temps se déforma aussitôt en réaction à l'influence de l'Autre Monde. Si je n'avais pas été en danger de mort, je me serais longuement interrogée sur les implications d'un tel phénomène. Le sort – car je n'avais pas de meilleur nom – était-il localisé ou étendu ? Admettons qu'il ait une portée d'une quinzaine de mètres. Que penseront les clients du Rossignol lorsqu'ils se rendront compte que la moitié du pub était figée ? Et si le sort n'atteignait que des personnes ou des êtres vivants ? Après tout, l'oiseau de l'île au saule avait également été touché. Tout comme l'océan.

Heureusement que le moment n'était pas à la réflexion.

Faye était prise au piège du temps. Le bras qui avait lancé le couteau était interrompu dans sa course, suspendu en l'air. La stupeur déforma son visage. Ses yeux s'écarquillèrent et sa bouche s'entrouvrit. Aucun mot n'en sortit.

On aurait dit un pantin. Son marionnettiste avait cessé de manipuler ses fils et la voilà, interrompue au milieu d'une action, horrifiée de voir son libre-arbitre voler en éclat et indignée en même temps.

La magie pulsait dans mes veines, chassant la fraîcheur de la nuit et me revigorant par la même occasion. La tête me tournait et j'imaginais que l'on ressentait la même chose lorsque l'on buvait trop de vin – ou de bière. J'ordonnai au bouclier de s'effacer et le couteau tomba au sol avec un cliquetis.

Je reculai d'un pas en brandissant mes mains devant moi. Faye voulait se battre. Je ne voulais pas. Mais avais-je vraiment le choix ? Avais-je jamais eu le choix de me battre ? Si je m'enfuyais, je pouvais dire adieu à son aide et, tôt ou tard, j'aurais à me battre – contre elle, contre quelqu'un d'autre, cela n'avait pas d'importance. C'était un cercle vicieux de la violence. Où que j'allais, elle me retrouvait.

Je supposais que je devais apprendre à faire avec.

J'astreignis la magie à lâcher son emprise sur le cours du temps. Au fond de mon esprit résonnait l'écho de l'Autre Monde, ses voix déformées enflant et diminuant régulièrement, au même rythme que l'océan.

Il désirait de l'action. Du sang.

Il devra se contenter de l'action.

Le temps se précipita à nouveau autour de nous et reprit ses droits sur le monde. Mes oreilles bourdonnèrent et Faye inspira brusquement, un râle s'échappant de sa gorge. On aurait dit qu'elle reprenait vie.

Elle tituba en arrière, déséquilibrée et perdue, et secoua la tête. Elle prit un moment pour observer ses alentours, son petit couteau au sol et moi, indemne.

– Je croyais que tu n'avais pas pour habitude d'attaquer dans le dos ? la provoquai-je.

Faye reprit rapidement ses esprits et me dévisagea avec suspicion.

– C'était quoi, ça ? demanda-t-elle. Je n'arrivais plus à bouger et je savais que quelque chose n'allait pas. Ce n'était pas naturel.

– Il se peut que j'arrive à manipuler le temps, fis-je en haussant une épaule.

Je ne précisai pas qu'il s'agissait d'une action de l'Autre Monde et que je n'en étais pas responsable. Le plus important était qu'elle réalise qu'il ne valait mieux pas s'en prendre à moi.

J'avais de gros doute qu'elle l'accepte.

– Impossible, cracha-t-elle. De toutes les sorcières que j'ai attrapées...

WILLOWOù les histoires vivent. Découvrez maintenant