LA NUIT FUT COURTE. Le sommeil se refusait à moi et je ne pris pas la peine de le chasser : j'avais passé ma vie à somnoler et, désormais, je me sentais plus vivante que jamais.
Dans le confort de ma chambre – dont la porte était, bien entendu, fermée à clé – j'eus tout le temps de réaliser ce que j'étais devenue, et ce que j'allais devenir dans les prochaines heures.
Pour l'instant, enfermée dans le manoir au saule, je n'étais qu'un instrument pour Beatrice. J'avais de la valeur à la manière d'un catalyseur, d'un objet précieux mais pas d'un être humain. Je vivrai, et mourrai dans ce manoir face à l'océan.
Maintenant plus que jamais l'envie de s'enfuir me faisait tourner en rond sur le tapis, y traçant un sillon régulier que je creusais à chaque passage. Ce n'était plus qu'un simple désir de liberté, mais une urgence. C'était devenu une question de vie et de mort.
Une autre question me taraudait l'esprit : qu'allais-je devenir hors de ces murs ? En supposant que je parvienne à m'enfuir de cette chambre au petit matin, je n'étais toujours pas assurée d'atteindre le bateau du vieux Charlie, ni d'arriver ensuite à Sezon.
Un affreux doute m'envahit. Et s'il s'agissait d'un guet-apens ? Après tout, Rose m'avait livré l'information avec une facilité que je trouvais déconcertante après réflexion. Le comportement de Beatrice m'inquiétait également. Je trouvais suspecte sa subite absence le lendemain de sa grande réussite. Tout cela pourrait être un grand piège dans lequel je me précipitais.
Mais qui ne tentait rien n'avait rien, et je ne pouvais pas laisser s'échapper mon unique chance. Qu'avais-je à perdre ? Ma vie ? Dans les deux cas, si je restais ici, j'étais condamnée. Si je me faisais prendre la main dans le sac, je partirai avec la satisfaction d'avoir tout essayé. Et si je parvenais à m'enfuir...
La liberté me tendrait les bras.
Dans cette chambre, qui était tout sauf petite, j'étouffais rapidement. La fenêtre s'ouvrait et, il était vrai, j'avais envisagé de m'enfuir par là. J'avais rapidement compris que c'était vain. Le sol se trouvait bas, bien trop bas, et je risquais plus la mort par chute qu'une fugue couronnée de réussite.
Quant à la porte, elle était à ma grande surprise ouverte. J'avais joué un long moment avec la poignée avant de finalement battre en retraite. Je n'osais pas sortir de mon refuge alors que le soleil se trouvait loin sous la ligne de l'horizon. Qui sait ce qui pouvait rôder dans les ombres du manoir ?
Le jour me trouva alors que je m'étais laissée aller dans un des fauteuil qui faisait face à l'océan. Le brouillard régnait toujours sur Sezon, un épais nuage de fumée que crachaient les différentes machines sur lesquelles la ville reposait.
Puis un ronronnement sourd mais bel et bien présent brisa le silence à l'aube.
Je me redressai dans mon fauteuil et remontai mes lunettes sur mon nez. Leur présence me dérangeait mais je comprenais peu à peu qu'il s'agissait autant d'une malédiction que d'une bénédiction. Elles étaient mes chaînes qui me lieraient toujours à ce manoir et en même temps mon seul bouclier contre l'extérieur. Qu'allait être la réaction du monde, du vrai, lorsqu'il verrait mes yeux ? Il me traiterait comme un monstre.
Mon attention s'en retourna au bruit. Je m'approchai de la fenêtre et m'appuyai contre le rebord, osant me pencher par-dessus pour découvrir l'origine du son.
Là, contournant l'île par ma gauche. Un bateau perçait les flots, projetant de l'écume sur ses flancs. J'avais beau plisser des yeux, je ne pouvais pas discerner le moindre drapeau ou sigle. En revanche, j'aperçus une silhouette sombre sur le pont, faisant face à l'île. Je ne connaissais qu'une personne qui pouvait naviguer à proximité de cette île sans annoncer qui était à bord.
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WILLOW
FantasyJe ne suis pas humaine. Du moins, je ne le suis plus. J'ignore ce que cette sorcière m'a fait sur cette île, et surtout comment elle a pu repousser ainsi les limites de la vie et de la mort. Elle veut faire de moi son instrument. Je ne suis pas la p...