Épisode 5 - Champagne !

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Un an plus tôt

Confortablement installé sur mon divan, je tiens ma tablette en main. Je suis en connexion instantanée avec Luc. Il est seul dans sa chambre, complètent abattu. Il fait sombre, mais il a allumé la veilleuse pour que je puisse le voir. Il tient à ce que j'observe ce qui va se passer. Et j'y tiens aussi. C'est pour ça que je suis là, pour me délecter de ce moment unique.

- Je ne sais pas si j'aurai le courage, me dit-il à travers l'écran interposé.

- C'est le moment, Luc. Tu es seul chez toi. Personne ne pourra te retenir de faire quelque chose dont tu as envie depuis si longtemps.

- Mais je pense à mon frère. Il a besoin de moi. Je ne sais pas s'il survivra à ça.

- C'est à toi que tu dois penser. Il n'y a que toi qui comptes. Tu dois enfin arrêter de souffrir. C'est pour ça que je suis là n'est-ce pas ? C'est pour t'aider quand tu as des doutes. C'est le grand jour. Tu dois passer à l'acte.

- J'ai peur.

- Sers-toi de la peur que tu ressens pour obtenir la force de le faire.

- D'accord...

Sa voix est tremblante, mais il s'exécute. Il prend le revolver qui est sur sa table de chevet et il la montre devant la caméra.

- C'est bien, Luc. C'est très bien. Maintenant, tu dois la charger.

Il m'obéit comme un agneau sans défense qui suit son berger. Je peux distinguer des larmes se loger dans ses pupilles. Il est prêt. Il va le faire. Je déglutis, j'approche du moment fatidique. La montée d'adrénaline n'est que plus forte.

- Il faut que l'arme touche ta tempe. Tu dois bien la sentir proche de ton crâne pour ne pas te rater.

- D'accord...

- Tu es prêt ?

- Je le suis !

- As-tu un dernier mot à dire avant... ?

- Oui. Si un jour tu en as l'occasion, dis à mon frère, Ben, que je l'aimais et que tout ça n'est pas à cause de lui.

- Je te le promets.

Le silence s'empare de la pièce. Je ne dis plus rien et lui non plus. Je n'entends plus que son souffle et je ressens sa peur. C'est ce moment qui me fait littéralement jouir. Comme un orgasme. C'est à cet instant que je ressens le pouvoir que j'ai sur une personne. C'est là, maintenant, que je peux décider s'il va vivre ou mourir. Et tout ça à distance. Parce que je l'ai manipulé jusqu'à en arriver là. Parce qu'il est faible. Parce qu'il a passé un week-end dans ma grande maison de campagne.

Le son de la balle qui fracasse son crâne m'a fait sursauter. Mais je suis encore en transe. Je savoure ce moment délectable. Mon plaisir se diffuse sur tout mon corps. Je plane. Ensuite, comme si rien ne s'était passé, j'éteins doucement ma tablette et je me sers un verre de vin rouge. Je viens d'avoir le plus beau trip de ma vie. Et je ne compte pas en rester là.


Vendredi 6 juillet. Bar de l'Hôtel Regina Louvre

C'est comme quand on reçoit un seau d'eau sur la tête. D'abord, la surprise fait qu'on n'arrive pas à réagir. On ouvre les yeux et la bouche d'effarement. Notre corps se crispe comme si on voulait éviter d'être éclaboussé. Puis, quand l'eau nous touche, on ressent pleinement sa température. En fonction qu'elle soit froide ou chaude, on pousse un cri d'étonnement ou de douleur. C'est seulement maintenant que je me rends compte à quel point le sang est chaud. Mon visage a été inondé de celui qui a reçu la balle en pleine poitrine. Je suis presque le seul à réagir. Les autres sont déjà trop choqués pour crier. Madie a placé ses mains sur sa bouche. Jelie s'est agrippée à Arkaig et Isa est devenue une statue de sel qui ne peut plus se mouvoir. Anaïs reste inerte, la bouche ouverte d'horreur.

Ben s'est jeté sur Nora. Ils sont tous les deux à terre. Mais la balle qui est partie les a arrêtés net. Tout le monde se tourne vers la victime. Cette dernière vient de tomber au sol comme une vulgaire loque.

- OH mon Dieu ! OH mon Dieu ! s'écrie Christine déjà tremblante.

- Il faut appeler les secours ! rétorque Lou déjà en pleurs.

Nora se libère de l'étreinte de Ben qui est devenu soudainement un poids mort. Il se laisse tomber au sol comme si son cerveau venait de boguer. Accroupie, Nora ramasse son arme et se penche vers Catherine, clouée au sol. Ses vêtements se rougissent de son sang. Sa blouse n'est plus qu'une grosse tâche pourpre. Mais elle a encore les yeux ouverts.

- Taisez-vous ! ordonne Nora qui ne semble pas perdre son sang-froid. Catherine respire encore ! Il faut l'emmener avec nous. On ne peut pas la laisser ici.

- Il faut appeler une ambulance. Elle va mourir ! s'écrie Jelie désormais en pleur.

- Personne ne va appeler d'ambulance, personne ne va faire quoi que ce soit. Arkaig, tu vas la prendre par les bras et Alan va t'aider à la transporter jusqu'à la camionnette qui nous attend juste derrière. On lui donnera les premiers secours une fois arrivés à la maison.

- Mais c'est de la folie ! beugle soudainement Isa.

Nora se relève brusquement. Elle s'approche dangereusement d'Isa munie d'un regard de tueur.

- Si vous ne faites pas ce que je vous ordonne, je tue votre idole. Et tu pourrais bien être la prochaine. On s'exécute et on se tait ! Allez !! hurle-t-elle.

Alors qu'Arkaig s'approche du corps ensanglanté de Catherine, celle-ci se met à convulser. Des cris d'horreur fusent dans la pièce. Nora nous ordonne de nous dépêcher. Je n'ai d'autre choix que de lui obéir. Arkaig arrive tant bien que mal à prendre le corps de Catherine par les épaules et je le soutiens en agrippant ses jambes. Nous nous dirigeons lentement vers la sortie où la camionnette nous attend, comme prévu. Nora nous suit toujours en pointant le revolver vers notre direction. Christine s'est occupée de relever Ben et de le prendre par le bras. Nous entrons un à un dans la grande camionnette qui n'a pas de sièges. Arkaig et moi sommes les derniers à y pénétrer avec le corps de Catherine qui semble de plus en plus mal en point. Nous la déposons sur le sol. Tous les yeux sont tournés vers elle, en expectative de ce qui va lui arriver. Puis, soudain, nous voyons quelque chose tomber de la poche de son pantalon.

Nora n'a pas le temps de le constater et nous enferme dans la camionnette. Elle doit protéger ses arrières et dissimuler les traces de sang sur le carrelage. Elle n'a donc d'autres choix que de retourner au bar. Sur place, elle prend une seconde pour souffler fortement. Elle a besoin d'évacuer tout le stress qu'elle vient de vivre. Elle regarde tout autour d'elle pour trouver hâtivement une solution à son problème. Puis, sur le bar, elle voit un récipient contenant quelques bouteilles de champagne. Sans réfléchir davantage, elle en prend deux et les fracasse sur le sol. Le liquide mousseux se répand sur le pavage et se mélange au sang qui finit par se diluer. « Ça devrait faire l'affaire », pense-t-elle à la hâte. Il ne restera plus qu'à expliquer la détonation du coup de feu par les bouteilles brisées au sol.  Avec précipitation, elle retourne sur ses pas et se dirige vers la camionnette. Elle ouvre la porte de la place du passager et demande à Arkaig de prendre le volant. Ce dernier, complètement traumatisé n'ose pas avouer notre terrible découverte.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? hurle-t-elle comme si sa vie en dépendait.

- On a un problème, je déclare blême.

- Quoi ? Elle est morte ? demande-t-elle livide.

- Non... je réponds fébrilement. Je crois que c'est pire que ça.

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant