Épisode 7 - "Pardonne-moi"

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Lundi 9 juillet. 15 heures 51.

C'est Anaïs, c'est elle qui entre dans cette pièce exigüe. Ben est encore sous le choc de ma révélation. Mais je devais lui dire la vérité.

Pour la première fois de ma vie, j'ai peur. Anaïs s'approche dangereusement de nous alors que nous sommes assis dans le coin de cette pièce sans presque plus aucune force pour nous défendre. Elle tient un long couteau en main. Elle pleure toutes les larmes de son corps et elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. La pauvre est complètement brisée. Elle ne répond plus de rien. La peur, l'angoisse, les ténèbres, c'est ce qui l'habite à présent. Elle ne raisonne plus normalement. Ses tremblements font de son air menaçant une situation rocambolesque.

- Arrête ça, Anaïs ! Tu vas te blesser, je déclare d'un air paternel.

Elle ne répond pas, mais continue d'avancer lentement, comme un zombie qui veut nous dévorer. Ben ne réagit pas. Cloué au sol, il ne pense qu'à une seule chose, ce que je lui ai dit il y a trente secondes. Son frère, il n'est pas mort seul. Je l'ai poussé au suicide, j'ai fait en sorte qu'il appuie sur la détente. Lui qui m'avait mis sur un piédestal... c'est comme s'il venait de chuter de trente étages. La chute est vertigineuse. Elle fait mal. Elle détruit tout ce qu'il reste de lui. Elle l'anéantit. C'est ce que je voulais. Oui, c'est ce qu'il mérite. Il paie le prix fort. Il doit voir de ses yeux le massacre qu'il a perpétré autour de nous. Le champ de bataille est désormais le sien. Je veux qu'il se rende compte de ma souffrance. Je veux qu'il souffre comme moi j'ai souffert. Je veux qu'il me haïsse comme je l'ai haï. Je veux... qu'il me comprenne !

Je tente tant bien que mal de me lever pour contrer Anaïs et son couteau. Mais elle s'arrête net. Une lueur s'allume soudainement dans ses yeux. Elle reprend ses esprits et me regarde avec insistance. Pour elle, le temps vient de s'arrêter. Elle essuie ses larmes lentement tout en continuant de me fixer. Sa respiration s'est ralentie. Ça y est. Elle a enfin pris la décision. Sans que je ne doive prononcer un seul mot, elle retourne le couteau contre elle et se l'enfonce profondément dans l'abdomen. La douleur ne la fait pas réagir. Elle tombe juste sur ses genoux, contrainte par son corps qui est en train de mourir. Elle pose les mains sur le sol et relève la tête pour me dire un dernier mot d'adieu. Ses yeux se mouillent à nouveau. Je peux lire la sincérité dans ses yeux.

- Je suis désolée, Alan. Je suis vraiment désolée, Alan. Je ne voulais pas te faire tant de mal. Pardonne-moi.

Elle s'effondre. Le sang dans lequel elle baigne ne m'émeut plus. Je ne ressens même plus de plaisir, non. Je me tourne lentement vers Ben et je le regarde droit dans les yeux.

- Tu vois, Ben... Regarde-la bien. Cette pauvre jeune fille, intelligente et tellement gentille. Elle cachait un terrible secret. Et il était trop lourd pour elle. C'était la seule issue possible. Ton frère, Luc, c'était pareil.

- Tais-toi ! s'écrie-t-il dans un dernier élan de colère.

- Tu comprends maintenant pourquoi j'ai fait tout ça ? Est-ce que tu comprends le but de tout ça ? C'est entièrement de ta faute ! Et crois-moi, pour toi, c'est loin d'être terminé !


Vendredi 6 juillet. Dans la camionnette

Nous avons dû laisser le corps de Catherine sur l'allée, à côté de quelques boîtes en carton, derrière le bar. Nora comptait appeler l'Hôtel en expliquant le bruit du coup de feu par la casse de deux bouteilles de champagne. Elle a même dit qu'elle avait mélangé le sang de Catherine avec le liquide de façon à brouiller les pistes. Cette idiote prend vraiment le personnel de l'hôtel pour des abrutis ! De toute façon, c'est trop tard. Le coup de feu est parti et maintenant Catherine, un agent de police, est morte ! Ses confrères vont probablement vite rappliquer et tenter de nous retrouver. C'est un peu comme si on était en cavale malgré nous. Prise de panique, Nora a forcé Arkaig à prendre le volant et à nous conduire tous dans ma maison de campagne. Mais c'est une très mauvaise idée. C'est le premier endroit où la police va nous attendre. Je lui ai dit que tant pour elle que pour moi, il ne fallait surtout pas s'y rendre. Elle était bien obligée d'être d'accord avec moi.

Heureusement, j'avais prévu qu'on aille dans une toute nouvelle maison que j'ai louée avec un faux nom. La mienne était de toute façon bien trop petite pour accueillir onze personnes. Celle-ci a douze chambres, cinq salles de bain et un énorme living. La piscine à l'extérieur ravira mes invités, ainsi que le barbecue que je compte bien utiliser. Jamais la police ne nous trouvera dans cet endroit. En tout cas, pas rapidement.

Au pied du mur, Nora a ordonné à Arkaig de nous emmener à cette nouvelle adresse. La mort de Catherine a l'air de peser lourd sur ses épaules. Elle n'était sûrement pas prête à vivre cela. Je me doute que ses motivations sont personnelles. Si elle m'a trahi, c'est probablement parce qu'elle veut faire vengeance pour une victime que j'aurai brisée dans le passé. Peut-être qu'elle a préparé cela depuis longtemps. Mais elle ne se rend même pas compte que je mène encore le jeu. Nous allons dans une maison qu'elle ne connaît pas. Elle va maintenant être en terrain inconnu, avec un cadavre sur la conscience ! Et les huit restants sont avec moi. Pour l'instant, c'est elle la mauvaise, la psychopathe qui a tué une pauvre innocente. Tout est contre elle.

Assis sur la camionnette avec les huit autres compères, je les observe longuement. Je vais tirer parti de cette situation et tenter de m'en sortir. Jelie a les yeux exorbités par l'horreur, je ne pourrai rien en tirer. Pour l'instant, elle s'agrippe à Isa qui ne répond plus non plus. Seul, recroquevillé sur lui-même, Ben reste inerte dans un coin de la camionnette. Sa dernière crise l'a complètement assommé. Lou pleure comme une dame du moyen-âge. Avec grâce, elle tient son mouchoir entre les mains et s'éponge le visage toutes les cinq secondes. On dirait même qu'elle prie. Christine fixe le sol comme s'il était en train de bouillir sous ses pieds. Je pourrais même lui parler qu'elle ne répondrait pas. Il reste encore Madie et Anaïs. Entre les deux, je choisis Anaïs. Parce que c'est la plus fragile. Peut-être aussi parce que c'est la plus douce et celle pour qui les autres auront plus de pitié. De plus, c'est vers elle que me suis présenté en premier. C'est donc logiquement qu'à présent, alors que nous sommes ballotés de gauche à droite dans cette camionnette étroite, je lui rends son regard soutenu. Elle donne l'impression de vivre dans les étoiles, comme si tout ce qui venait de se passer ne l'atteignait plus pendant quelques instants. Les instants où elle me regarde. Cette jeune fille est en admiration devant mon personnage, pour ce que je représente. Et même si nous vivons tous un drame, au moment où nos regards se croisent, elle est heureuse d'être là.

Anaïs. C'est toi qui caches le plus sombre secret de tous les autres. C'est toi qui souffriras le plus.

Mais je ne pense qu'à une seule chose. C'est toi qui me libéreras de l'emprise de Nora !

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant