Épisode 9 - Le périple

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Vendredi 6 juillet.

Le soleil bat son plan. La chanson « Bella ciao » résonne dans la radio de la camionnette. Les six enfants assis confortablement dans leurs sièges battent des mains tout en chantant à haute voix. La bonne humeur est au programme. La camionnette de l'association des enfants malades les emmène dans un parc d'attractions où jeux et amusements les attendent toute la journée. Ça fait des semaines qu'ils sont impatients de vivre ce jour. La route est limpide, le soleil brille, il n'y a pas de meilleure journée pour ce petit voyage. Au volant, l'accompagnatrice, Béatrice, la vingtaine, qui s'est portée volontaire pour surveiller les enfants toute la journée est heureuse de les conduire au parc. Elle chante à tue-tête comme s'il avait le même âge des enfants qu'elle transporte. Mais soudain, la chanson est interrompue par un flash spécial.

« La police vient de lancer un avis de recherche sur la personne d'Alan Vermont. Selon nos informations exclusives, le célèbre virtuose de la musique serait en ce moment kidnappé avec plusieurs de ses fans. Il se trouverait dans une camionnette blanche de douze places, de marque Opel, immatriculée SD-042-PA sur la route A10. Celle-ci est recherchée activement. »

Béatrice coupe rapidement la radio, électrisée par ce genre de nouvelle qu'elle abhorre. Elle se trouve sur cette fameuse route A10 et elle en a subitement des frissons. Elle jette un regard sur le rétroviseur. Pas de trace de cette camionnette ! Et dire qu'elle-même conduit le même genre de véhicule ! À la différence près qu'il a 8 places et qu'il est gris métallisé. Par précaution, elle préfère quitter l'A10 et prendre les petites routes. Après tout, on n'est jamais trop prudents avec des enfants à bord. Elle roule lentement, le cœur déjà plus calme. Mais soudain, juste devant eux, sans crier gare, un jeune homme ensanglanté sort des buissons et fait de grands signes pour appeler à l'aide. Saisie, Béatrice freine d'un coup sec. Saisis, les enfants arrêtent de chanter. Deux ou trois crient leur étonnement. Les yeux exorbités par la peur, Béatrice serre le volant de toutes ses forces. Le jeune homme s'approche. Il semble mal en point. Du sang coule de sa tête, ses vêtements sont déchirés, des morceaux sont même brûlés. Son visage traduit la détresse. Il a clairement besoin d'aide. Béatrice prend alors son courage à deux mains. Elle ordonne aux enfants de ne pas bouger et elle sort de la camionnette. Au fur et à mesure qu'elle avance vers le jeune homme, elle peut distinguer les traits de son visage. Ses cheveux ébouriffés, les traces noires sur ses joues et le sang qui coule sur presque tout son corps, la terrorisent.

- Est-ce que ça va ? demanda-t-elle maladroitement.

Arkaig s'avance. Chaque pas qu'il entreprend est un périple à lui tout seul. Il est essoufflé.

- Je vais appeler les secours. Ne vous inquiétez pas ! continue-t-elle tout en restant à distance d'Arkaig.

- Je vous en supplie... dit-il en lui jetant un regard noir qui la glace instantanément.

- Restez où vous êtes, répond-elle craintive. Je vais appeler une ambulance.

La pauvre n'a pas remarqué qu'Arkaig garde un bras caché derrière le dos. Alors, qu'elle s'apprête à se retourner pour retrouver les enfants dans la camionnette, il sort le revolver et le pointe vers elle.

- Ne bougez plus ! hurle-t-il comme un zombie en folie.

Instinctivement, elle lève les mains.

- Je vous en prie, j'ai des enfants avec moi !

- Faites-les sortir de la camionnette et donnez-moi les clés.

- Vous voulez voler ma camionnette ?

- Obéissez !

- Vous êtes celui qui a kidnappé Alan Vermont ? s'écrie-t-elle horrifiée.

Arkaig ne répond pas. Il a beau tenir le revolver droit vers cette femme innocente, il ne ressent que de la peur et de l'angoisse. Jamais il n'aurait cru en arriver là. Devant ses yeux voilés, il revit le drame qui vient de se produire. L'accident, les cris, la folie, l'horreur, les coups de feu encore et encore.

Le sang. La mort. Rien que la mort.

Mardi 5 juin. Paris

Arkaig a le sourire. En réalité, il ne s'est jamais senti si bien de toute sa vie. Il sort du train avec son sac à dos comme seul bagage. Il regarde autour de lui avec satisfaction. C'est la première fois qu'il met les pieds à Paris. Il respire un grand coup tout en regardant autour de lui. Puis, soudain, au loin, il voit une jolie jeune femme s'approcher. Elle a une belle chevelure cendrée qui tombe jusqu'à ses épaules. Ses yeux bleus se distinguent de tous les autres. Arkaig n'a jamais été aussi amoureux de toute sa vie. Il dépose son sac à terre et ouvre grand les bras pour accueillir la femme qu'il aime.

Isa se jette dans ses bras avec fougue. Ils échangent un baiser passionné qui ne passe pas inaperçu.

- On devrait se calmer, dit-elle s'écartant de son étreinte. Je ne voudrais pas me faire remarquer, c'est trop dangereux.

- Je suis tellement heureux d'enfin te rencontrer et de pouvoir te toucher, te sentir près de moi. C'est encore mieux que dans mes rêves.

- On a deux jours pour nous tous seuls. Mon mari est parti en voyage et les enfants sont chez ma sœur. On va pouvoir profiter.

- C'est génial ! répond-il en la prenant par le bras.

- Et si on quittait le quai à présent ? J'ai Paris à te faire visiter, dit-elle enchantée.

- Je pensais plutôt visiter ton appartement..., réplique-t-il d'un air coquin.

Les amoureux quittent le quai, lentement, insouciants, plongés dans leurs désirs défendus, aveugles des gens qui les entourent.

À quelques mètres d'eux, assis sur un banc, vêtu de mon costume noir et de ma casquette de la même couleur, je les observe. Isa trompe son mari sans vergogne avec un homme beaucoup trop jeune pour elle. Pas un instant elle ne pense à son mari ou au bonheur de ses enfants. Elle ne pense qu'à elle, qu'à son plaisir charnel. Elle représente tout ce que je déteste.

Je souris parce qu'elle va bientôt payer le prix de sa trahison. Dans quelques semaines, dans ma maison de campagne, c'est à la douleur de la chair qu'elle aura droit !

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant