Épisode 23 - Le retour

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Samedi 7 juillet. 16 heures trente.

Personne ne pourra me pardonner le meurtre des enfants de Christine. Pourtant, s'est-elle elle-même pardonné l'avortement qu'elle a provoqué il y a quelques semaines ?

Toujours caché dans le jardin, je l'observe pleurer sur les dépouilles de ses deux pauvres enfants qu'une bonne âme a bien voulu sortir de la piscine. Elle se balance d'un côté à l'autre en fredonnant une chanson inaudible. La douleur doit être atroce, le désespoir aussi. Désormais, elle sait ce qu'on ressent quand on perd volontairement un enfant. C'est tellement facile d'aller à la clinique et demander d'enlever ce qu'on a dans le ventre. Mais quand c'est du concret, les choses sont différentes. Il fallait qu'elle ressente ça. Il le fallait, pour qu'elle comprenne.

Ma mère a compris, elle, bien trop tard, malheureusement. Quand elle a avorté pendant sa deuxième grossesse adultérine, je ne l'ai même pas vu verser une larme. Et si cet enfant avait été moi ? Si c'était moi qu'elle avait tué ? C'est à ce moment-là que j'ai décidé de lui faire payer les souffrances qu'elle nous infligeait à moi et à mon père. Mais lui aussi s'est mis à m'ignorer, à me prendre pour un moins que rien. J'ai tellement voulu être aimé, j'ai tellement voulu qu'on prenne soin de moi comme n'importe quel autre enfant à l'époque. Mais j'ai eu des parents égoïstes, qui ne montraient pas leurs sentiments. Ça m'a rendu froid et distant. C'est à cause d'eux que je suis comme ça. Ils m'ont élevé ainsi, comme si je n'existais pas. Alors, mes sentiments n'existent pas non plus. Il n'y a plus rien de vivant en moi.

Je hais les femmes qui suivent le même parcours que ma mère. Tout comme j'ai haï Luca de m'avoir volé la seule chance que j'avais d'être un enfant normal. Car c'est avec son père que ma mère a forniqué toutes ces années. Et elle s'occupait plus de lui que de moi alors qu'il n'était pas de notre sang. Je ne l'ai jamais supporté. Tout comme je ne supporte pas que Ben puisse être heureux. Je me délecte dans sa douleur et sa dépression. Il était si mignon enfant. Ma mère n'arrêtait pas de parler de lui comme un ange venu du ciel. Pourtant, elle n'a jamais fait en sorte qu'on se rencontre. Elle vivait deux vies bien différentes. Et moi ? Qu'étais-je pour elle ? Un démon ? Eh bien, c'est ce que je suis devenu. Et c'est entièrement de sa faute. Aujourd'hui, Ben va payer, comme les autres d'ailleurs. Ils vont tous payer ! Le prix ultime : la mort.

Je sens des palpitations me prendre le cœur et me déstabiliser. J'ai beau jouer le fort et le héros, je reste un homme ordinaire. Et quand je pense à mon passé, l'angoisse remonte en moi inexorablement. J'ai comme des flashs qui traversent mon esprit. Je me vois encore et encore dans cette salle d'attente à attendre le verdict du docteur. Et puis, quand je suis dans son bureau, il m'annonce que j'ai été diagnostiqué « bipolaire » avec « des phases de maniaco-dépression sévères et des périodes plus sombres ». Je dois prendre absolument mon traitement. Mais quand je suis dans la maison, je préfère être moi-même. Je préfère être cruel.

Dans le salon, Jelie a pris soin d'Anaïs et a réussi à stopper l'hémorragie. Cette dernière est encore très affaiblie. Elle ne s'est toujours pas réveillée. Quant à Isa, elle tourne en rond et se console avec quelques verres d'alcool qu'elle boit volontiers. Ben est assis sur le divan, pâle comme la mort qu'il va bientôt recevoir.

- Comment va Arkaig ? demande Isa désespérée.

- Il agonise dans la chambre... La blessure est profonde, je ne crois qu'il passera la nuit. Si on n'appelle pas les secours rapidement, ça en est terminé pour lui.

- Christine a perdu la tête ! s'écrie-t-elle révoltée.

- Elle avait peur pour ses enfants, intervient Jelie.

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant