Épisode 8 - La leçon de piano

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Lundi 4 juin. Paris

Madie est une jeune étudiante en plein milieu de la vingtaine qui respire l'espoir et l'amour. Je peux l'observer en train de quitter l'université pour se rendre à son cours de piano. Je la suis de loin, sans qu'elle puisse me voir. Je me suis revêtu de mon costume noir et d'une casquette de la même couleur. Aujourd'hui, je veux rester incognito. J'en ai un peu marre qu'on me reconnaisse dans la rue. J'ai envie d'être un homme ordinaire qui peut se promener sans qu'on l'arrête toutes les cinq minutes. Et puis, surtout, j'ai l'âme d'un prédateur qui suit sa proie cet après-midi. Madie est habillée d'un jeans bleu moulant et d'un haut de la même matière. Sa longue veste pourpre lui donne l'air d'une aventurière qui n'a peur de rien. Elle sourit tout en marchant dans la rue. Un livre à la main, elle semble heureuse. Je ne me lasserais jamais de la suivre et de l'observer. Pour moi, elle représente la fille irréprochable, droite dans ses bottes, qui fait toujours ce qui doit être fait. Elle a sûrement des parents qui l'ont bien élevée.

Elle fait un crochet au « Starbucks Coffee » au coin de la rue et elle s'assied à une petite table pour boire son chaud breuvage. Je l'observe à travers la vitre, mais l'envie de pénétrer dans le café est plus forte que moi. J'ai besoin de sensations. Alors, j'arrange ma casquette pour cacher mon regard et j'entre. Au comptoir, je commande un café noir. Jusque-là, personne ne me reconnaît, et c'est tant mieux. Du coin de l'œil, je scrute Madie qui lit tranquillement un livre tout en buvant sa boisson. Je prends finalement le risque de m'assoir à côté d'elle. Ce qui est amusant, c'est qu'elle ne me remarque même pas. Je peux sentir son parfum flotter dans l'air. Il se mélange à l'odeur de café que j'aime tant. Je ne dirai rien, je ne veux pas qu'elle me reconnaisse. Mais quelque part, au fond de moi, je l'admire. Elle a l'air si paisible, en paix avec elle-même.

Soudain, elle referme son livre, prend son gobelet et quitte le café sans même me regarder. Je souris avant de repartir à mon tour. Je continue à la suivre même si je sais exactement où elle se rend. Quand elle arrive enfin au conservatoire, j'attends quelques instants dehors avant d'entrer également. Elle vient tous les lundis après-midi pour son cours de solfège. En plus d'être une étudiante modèle, elle apprend la musique avec assiduité. C'est d'ailleurs aussi pour cela qu'elle est fan de moi. Après cinq longues minutes, j'entre enfin au conservatoire. J'évite de croiser le regard de professeurs qui peuvent me reconnaître. Heureusement, tout le monde est en classe à cette heure-ci. Je passe les différentes portes vitrées comme un fantôme qui hante les lieux. Puis, je m'arrête juste derrière celle où Madie est entrée. Elle prépare son manuel pour la leçon. Elle attend son professeur. Après quelques secondes, il entre par une porte latérale. Il veut la saluer en lui faisant la bise, mais elle recule d'un pas.

- Je ne pensais pas vous voir aujourd'hui, Monsieur, dit-elle avec fermeté. Je croyais avoir été claire, je change de professeur.

- Je croyais que tu plaisantais, répond-il avec un égo surdimensionné. Tu ne vas tout de même pas te priver de mes cours, et du meilleur professeur de la ville pour ça !?

- Je suis catégorique ! Maintenant, je m'en vais.

Elle rassemble ses affaires devant les yeux soudainement furieux du professeur. Il la prend violemment par le bras.

- Je te préviens, sale petite catin, si jamais tu oses ouvrir ta bouche à qui que ce soit, ta belle petite vie va voler en éclat ! Tu as bien compris ?

Secouée, Madie s'arrache de l'étreinte du vieil homme. Dans la panique la plus totale, elle prend ses jambes à son cou et s'enfuit de cette classe maudite. Elle passe encore devant moi sans me voir. Je peux ressentir sa détresse, son angoisse, mais surtout sa grande déception. Je la regarde courir dans le couloir et disparaître petit à petit. J'ai presque de la peine pour elle. Mais je me retourne et je décide d'entrer dans la classe. Le professeur est debout face à moi. Il me sourit.

- Bonjour, papa ! je m'exclame de la manière la plus douce qui soit.


Vendredi 6 juillet. Dans la camionnette

Tu n'arrêtes pas de me regarder, Anaïs. Alors, je te regarde aussi. Je te fais des petits sourires que tu ne peux pas ignorer. Je sais que tu as un petit copain, mais pour le moment, ce dont tu as le plus besoin, c'est de te sentir en sécurité. Mes regards, mes sourires peuvent t'inspirer ces sentiments réconfortants.

Je m'assure que Nora reste bien concentrée sur la route, assise à l'avant de la camionnette en compagnie d'Arkaig. Je fais un discret signe à tout le monde pour attirer leur attention. Ils me regardent et je leur fais comprendre qu'ils doivent rester silencieux.

- Il faut neutraliser Nora, je chuchote.

Tout le monde semble d'accord.

Je leur explique alors quel est mon plan. Mais pendant que je tente de développer mes arguments, j'entends de l'agitation à l'avant de la camionnette. Arkaig semble de plus en plus nerveux. Nora pointe le revolver toujours plus près vers lui et donne des ordres qu'il ne semble pas vouloir exécuter.

- Je te préviens, fais ce que je te dis sinon je tue Alan devant tes yeux, hurle-t-elle comme une forcenée.

Tout le monde commence à crier. Je déglutis. Encore un imprévu que je ne sais pas comment gérer.

- Tu peux le tuer si tu veux, mais c'est moi qui suis au volant ! rétorque-t-il avec courage.

- Tu crois que je ne vois pas ce que tu essaies de faire. Tu roules excessivement vite pour qu'on prenne un PV et que la police nous retrouve. Je t'ordonne de ralentir !

Il n'obéit pas. Son plan est simple. Plus vite il roule, plus de chance il a de nous faire remarquer. Mais tout cela ne m'arrange pas du tout ! Je tente alors de me lever pour rejoindre le duo. C'est de plus en plus de difficiles de tenir debout tellement nous sommes ballotés d'un côté à l'autre. Arkaig fait des zigzags sur la route. Nous entendons des klaxons fuser de toute part. Son plan à l'air de fonctionner et Nora n'a sûrement pas le courage de tirer à bout portant, malgré ses menaces.

- Tu vas arrêter ça ! crie-t-elle à pleins poumons.

- Tu n'as qu'à me tuer si tu veux, mais cette camionnette ne s'arrêtera pas de sitôt !

Si Arkaig provoque un accident, je n'aurai plus aucun moyen de m'en sortir. Je dois être dans cette maison avec le groupe. C'est ma seule chance. Je n'ai pas le choix.

Les filles crient de terreur. La confusion naît dans cet espace confiné qui sent terriblement la mort et le drame. Je respire alors un grand coup et dans la précipitation, je donne un coup sec sur le bras de Nora pour tenter de faire tomber son arme. Celle-ci tombe à terre et glisse jusqu'au fond de la camionnette, juste à côté de Ben. Nora n'a pas le temps de crier. Moi non plus. Arkaig donne un coup de volant bien trop brusque. Les freins de la camionnette se mettent à crier, à l'unisson avec les cris de ses passagers terrifiés. Le pire vient d'arriver. Le véhicule sort de la route. J'entends le bruit des branches d'arbres griffer la tôle. Les vitres volent en éclat. Nous sommes tout à coup comme en apesanteur.

À présent, seul le destin décidera de notre avenir. Qui de nous tous aura encore le privilège de vivre ?

Malheureusement, j'étais loin de me douter du carnage qui allait suivre...

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant