Épisode 26 - La fuite

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Dimanche 8 juillet. 11 heures.

Nora se réveille en sursaut dans cette maison isolée appartenant aux parents d'Alan. Elle vient de faire un cauchemar affreux. Elle assistait malgré elle aux meurtres de tous ceux présents dans la maison de campagne. Elle criait à l'aide, mais personne ne l'écoutait.

Elle est en sueur. Se savoir bloquée dans cette maison est encore pire que de faire des cauchemars. Pourtant, elle n'a pas le choix. Elle s'habille rapidement et retourne dans la cuisine où la mère d'Alan l'attend confortablement.

- Comment allez-vous ? demande-t-elle tout naturellement.

- Comment voulez-vous que je me sente ? Vous me tenez prisonnière dans cette maison !

- Nous vous avons fait une offre et nous vous avons laissé le temps d'y réfléchir.

- Je refuse votre argent. Il est hors de question que je me taise ! Alan doit payer pour ce qu'il fait subir à ces gens. Pensez ne serait-ce qu'un instant à Lena. Il l'a brisée. Votre propre fille !

- Lena est malade, tout comme Alan. Sinon elle n'aurait pas tué ces gens dans la maison.

- Mais pourquoi vous ne faites rien pour les en empêcher ? s'écrie-t-elle révoltée.

Elle marque une pause. Elle regarde Nora avec intensité tout en laissant échapper un léger sourire de satisfaction.

- Henri et moi sommes un couple libre. Il me laissait faire mes petites affaires et je le laissais faire ses petites affaires. Il savait que je le trompais et à mon tour je le savais pour lui. Alan a été diagnostiqué malade depuis qu'il est enfant, mais on ne lui a jamais rien dit.

- Pourquoi ?

- Parce qu'il a une intelligence hors du commun. Et il l'a prouvé ! Il manie les notes comme personne. Il compose des musiques qui dépassent l'entendement. C'est un Dieu dans son domaine. On ne voulait pas couper l'élan à son talent. Alors, Henri et moi, on a fait un choix. Le choix de lui cacher qu'il était malade.

- Quel genre de maladie ?

- Une maladie mentale. Il est bipolaire. Il a des phases maniaques et des phases dépressives assez sévères. Mais ce n'est pas tout.

- C'est-à-dire ?

- Parfois, il délire. Il ne sait plus faire la différence entre la réalité et la fiction. Par exemple, il croit dur comme fer que je suis morte. Parce qu'il veut que je sois morte. Alors il a réussi à s'en convaincre. Et parfois, il a des phases hallucinatoires graves. Les médecins disent que c'est génétique. C'est pourquoi Lena a sombré aussi dans la folie. Et c'est la raison pour laquelle je l'ai donnée en adoption.

- Sans prévenir mes parents ?

- Je sais... C'était une erreur de ma part. Mais je ne pensais pas qu'elle irait si loin.

- Vous voulez dire que l'accident de mes parents n'en était pas un ?

- Je n'ai pas de preuves. Mais vraisemblablement non.

Nora racle sa gorge, choquée par ces révélations. Elle demande un verre d'eau que la mère d'Alan lui verse immédiatement. Cette conversation est si irréaliste qu'elle a l'impression d'être dans un univers parallèle, coincée dans un espace-temps inconnu où il est impossible de s'extirper.

- Alan a besoin de faire ce qu'il fait dans cette maison. Après chaque « concours », il revient requinqué, continue la mère. Il a de nouveau l'inspiration. Il compose des musiques extraordinaires, comme s'il était inspiré par les Dieux du ciel. Toutes ces personnes sacrifiées le sont pour la bonne cause. Elles le sont pour le bien de l'Art.

- Vous êtes aussi dingue que votre fils ! Je pense que les docteurs avaient raison quand ils ont dit que c'est génétique. C'est probablement vous qui leur avez transmis la folie !

- Pensez de moi ce que vous voudrez. Mais soit vous acceptez notre offre. Soit vous ferez partie également de ces victimes collatérales.

Le regard de la vieille femme soutient celui horrifié de Nora. Cette dernière sait qu'elle va devoir se battre si elle veut se sortir de là. Elle n'a plus le choix. Elle est obligée de rentrer dans leur jeu. Alors, lentement, elle se lève.

- J'accepte, dit-elle solennellement.

- Bien. Voilà une décision raisonnable. Je vais prévenir Henri et il vous raccompagnera chez vous. Mais si vous rompez notre accord, nous enverrons quelqu'un pour vous tuer. Nous sommes déterminés. Vous savez que nous le ferons. Nous l'avons déjà fait. Les victimes disparues de la maison d'Alan les années précédentes, c'est nous qui les avons fait disparaître. Alors, pas de coup foireux.

- D'accord... répond-elle presque aphone.

Pendant que la mère d'Alan quitte la cuisine, Nora prend son courage à deux mains et se précipite vers les tiroirs. Elle cherche activement une arme qui pourra la protéger en cas d'imprévus. Elle trouve un long couteau de cuisine qu'elle cache sous son chemisier derrière son dos. Henri apparaît presque aussitôt.

- Je suis prêt, dit-il le visage fermé. Je sors la voiture du garage et nous pouvons y aller.

- Je croyais qu'il n'y avait qu'un vieux tracteur...

- Ne jouez pas les plus malignes Nora. Allons-y.

Nora respire un grand coup. Elle sait au fond d'elle qu'Henri ne respectera jamais sa part du marché. Elle n'a aucune assurance qu'il la ramènera effectivement chez elle. Au contraire, elle pense plutôt qu'il la traine vers un piège dont elle ne pourra plus se sortir. Mais elle le suit, docilement, jusqu'au garage. Une berline les attend.

- N'ayez pas peur, dit-il en remarquant les jambes tremblantes de Nora.

- Comment puis-je vous faire confiance ? Je suis au milieu de nulle part.

- Il ne vous arrivera rien tant que vous tiendrez votre langue à sa place. Maintenant, entrez dans la voiture.

Des voix hurlent dans la tête de Nora de ne pas entrer. Si elle pénètre dans cette voiture, elle signe certainement son arrêt de mort. C'est maintenant qu'elle doit agir si elle veut se sortir de ce pétrin. Henri sort les clés de sa poche et s'apprête à ouvrir la porte. Les voix crient que c'est le moment. Elle a peur. Elle n'a jamais fait une chose aussi affreuse de toute sa vie. Mais c'est de la légitime défense, elle n'a pas le choix. C'est ce qu'elle se répète. Ça hurle encore et encore dans sa tête. C'est maintenant !

- Je suis désolée, dit-elle dans un dernier élan de courage.

D'un geste brusque et presque instantané, elle sort le couteau qu'elle a caché dans son dos et l'enfonce dans l'abdomen d'Henri. Surpris par cette attaque, il tombe sur les genoux, muet. Ses yeux exorbités révèlent toute sa consternation. Nora prend de ses mains les clés et appuie sur le bouton pour ouvrir la porte du garage. Pendant que celle-ci laisse entrevoir la lumière du soleil, elle allume le moteur du véhicule sans regarder derrière elle. Comme une furie, elle pousse sur la pédale d'accélération et quitte cet endroit maudit. Lancée sur la route, elle crie de joie et se met à rire. Elle a gagné. Elle a réussi à sortir de cet enfer ! Il ne reste plus qu'à prévenir la police. Il ne reste plus qu'à sauver les autres dans la maison.

Quand la mère d'Alan découvre le corps sans vie d'Henri. Elle hurle de toutes ses forces. La rage prend alors possession de son corps. Comme une furie, elle retourne au salon où elle cherche le portable qui est caché dans une armoire. Elle compose rapidement un numéro de téléphone.

- C'est moi, dit-elle comme une lionne. Henri vient de se faire tuer. Je sais qui a fait ça. Elle s'appelle Nora et elle s'est échappée de la maison d'Alan. Henri était prêt à la jeter dans le ravin, mais elle a réussi à s'enfuir. Il faut absolument que tu la retrouves et que tu finisses le travail. On ne peut pas se permettre qu'elle parle !

- Considérez que c'est fait, Madame ! réplique Jean-Yves Marchand, le chef de la police.

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant