Épisode 4 - Ben

162 24 21
                                    

Le revolver est pointé droit sur ma tempe. Je reste figé, complètement abasourdi par le geste incompréhensible de Nora. Elle était censée cacher l'arme dans la chambre de Ben. C'était notre plan, ce dont on avait convenu. Alors, qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi est-elle en train de me menacer ? À quoi joue-t-elle ?

Je jette un regard aux neuf autres. Le temps s'est figé. Terrifiés, ils m'observent sans bouger. Tout s'est arrêté. Pour la première fois, je ne sais plus quoi faire. Je suis sous l'emprise de Nora. En une seconde, elle a réussi à me faire perdre le contrôle de mon histoire. En un instant, elle me vole mon pouvoir et ma prestance. Elle me jette vulgairement dans le club des 10. Je deviens malgré moi une victime alors que je jouais pour être le bourreau. J'imagine que c'est de ça qu'il s'agit : un jeu. Elle veut sûrement prendre ma place et nous balancer tous les dix dans l'horreur. J'étais à mille lieues de m'imaginer une chose pareille. Je ne l'ai absolument pas venue venir !

Instinctivement, je recule d'un pas. Probablement est-ce un réflexe dicté par la peur. Je ne sais pas. Mais Nora m'ordonne de ne pas bouger. J'entends les pleurs d'Anaïs. Lou semble ne pas supporter la pression et se rassied sur le divan tout en cachant son visage entre ses mains.

- Que tout le monde reste calme ! s'exclame Nora avec une assurance que je ne lui connais pas. Je vais tout vous expliquer. Mais d'abord, vous allez faire exactement ce que je vous ordonne. Un seul écart de votre part et Alan meurt devant vos yeux !

Le groupe acquiesce timidement. Mon cœur se met à battre de plus en plus vite. Nora ne plaisante pas.

- Tout d'abord, vous allez tous me donner vos portables et les mettre dans ce sac.

Elle jette son sac à main face à elle. Il est assez grand pour contenir les dix portables, dont le mien. Tout le monde s'exécute sans broncher. On entend seulement les reniflements d'Anaïs. Je peux lire l'inquiétude sur le visage de Christine. Elle pense sûrement à ses enfants. C'est le genre de souffrance que j'aime lire chez les gens. Mais Nora est en train de me voler ce plaisir et le prend pour elle !

Je repense quelques instants à notre plan. Ce revolver devait être caché sous le coussin de Ben. Il devait le découvrir ce soir en allant se coucher. C'est exactement le même que celui qu'a utilisé son frère pour se suicider. Il y a un an.

Son frère écoutait ma musique quand il a appuyé sur la détente. On m'a même accusé dans la presse d'écrire des musiques si tristes qu'elles poussent au suicide. Mais Ben m'a toujours défendu bec et ongle sur les réseaux sociaux. C'est un vrai fan. C'est pour ça que je l'ai choisi. Dès qu'il se rendra compte qu'il s'agit exactement de la même arme que celle qui a tué son frère, il va perdre pied. Sa réaction incontrôlable devait être l'élément déclencheur qui aurait installé la panique dans la maison. C'est lui qui a découvert son frère le crâne explosé et éparpillé autour de la chambre. C'est lui qui a ramassé l'arme éclaboussée de sang et qui l'a retirée des mains de son frère. C'est lui qui a vécu ce moment extrêmement traumatisant. Il y a un an. Il y a seulement un an.

Je comptais exploiter sa souffrance et son choc psychologique pour en tirer parti. Je sais qu'il aurait perdu les sens en voyant cette arme. Qui sait ce qui aurait pu arriver quand il l'aurait descendu au salon complètement en transe, quand il aurait accusé quelqu'un d'être à l'origine de cette blague atroce ? Qui sait ce qui aurait pu arriver quand il aurait, par inadvertance, appuyé sur la gâchette ? J'ai demandé à Nora de trafiquer l'arme pour qu'elle soit le plus sensible possible. Un simple faux geste et la balle peut partir.

À présent, ce revolver est pointé sur mon crâne et je redoute le moment où Ben va la reconnaître !

Nora reprend le sac qui contient désormais tous les portables. Elle se garde bien de ne pas bouger le revolver et le tient fermement. Trop fermement à mon goût.

- Vous devez me prendre pour une folle, s'écrie Nora les yeux en feu. Vous vous demandez pourquoi j'utilise une arme en plein milieu d'un bar d'un hôtel. Mais comme vous pouvez le remarquer, il est privatisé. Il n'y a personne à part nous. Nous allons bientôt quitter ce bar par l'arrière. Une camionnette nous attend dehors. Comme prévu, nous nous rendons dans la somptueuse maison de campagne d'Alan. C'est là-bas que je vous expliquerai tout. Croyez-moi, si je fais tout ça, c'est aussi un peu pour vous. Alors, ne tentez rien de stupide !

Personne n'ose prononcer un seul mot, pas même moi. Sans nous laisser une seconde de répit, elle nous ordonne de la suivre. Elle me prend par le bras et passe devant le groupe pour montrer le chemin. J'ai bien envie de faire quelque chose, mais je ne sais pas si c'est le moment. J'ai trop peur que le revolver se déclenche et me tue sur le coup. Je suis coincé.

Instinctivement, je cherche Ben du regard. Et là, soudain, un choc électrique traverse tout mon corps. C'est trop tard ! Il a reconnu l'arme. Je peux observer la sueur sur son front, la colère sur son visage, l'angoisse qui monte en lui et qui va bientôt exploser. Il a exactement la réaction que je redoute. Il est en train de revivre son traumatisme. Son regard se vide, ses mains se crispent, son souffle s'accélère. Et d'un coup, il hurle à pleins poumons. Comme un forcené, il crie de toutes ses forces. Le groupe se retourne, stupéfié par ces cris. Puis, soudain, il s'avance vers Nora d'un pas certain. Cette dernière n'a pas le temps de réagir. Alors qu'il se jette sur elle pour l'empoigner, l'arme glisse de ses mains.

Tout se passe au ralenti. Le choc provoque la détente. La balle sort du revolver et poursuit sa course sur le corps d'un des 9. Je suis éclaboussé par le sang de la victime. Le bruit est insupportable. La peur et l'effroi que j'aime tant voir sur les autres est insoutenable quand je la ressens. Mais c'est trop tard, le jeu de Nora a commencé et elle va devoir en subir toutes les conséquences.


Lundi 9 juillet. 15 heures 50.

Je suis dans cette petite pièce exigüe où j'ai réussi à me cacher... avec Ben. Recroquevillés sur nous-mêmes, nous attendons le moment propice pour nous échapper. Il saigne beaucoup et il ne sait pas s'il arrivera à s'enfuir. Mais il est là, et pour le moment, c'est ce qui compte.

- Merci d'avoir tué pour me sauver, je déclare à voix basse.

- Tu comptes pour moi bien plus que tous ceux qui sont dans cette maison.

- Tu n'étais pas obligé.

- Je l'ai fait pour toi.

Soudain, un bruit nous fait sursauter. Quelqu'un nous a trouvés. Je regarde Ben avec pitié. On sait tous les deux qu'il ne s'en sortira pas.

- Alors, maintenant, je crois que je peux te l'avouer, je rétorque avec une pointe d'amertume. Ton frère, il ne s'est pas suicidé. C'est moi qui l'ai tué !

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant