Épisode 6 - Catherine

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Jeudi 21 juin. Centre de la police fédérale

Une réunion importante bat son plan au deuxième étage du bâtiment. Les trois personnes responsables de l'enquête sont présentes. Un « profiler », une psychiatre ainsi qu'un représentant du monde politique sont également autour de la table et écoutent attentivement le chef de la police. Le thème de la réunion est « Alan Vermont ». Pendant une demi-heure, Jean-Yves Marchand, quinquagénaire et chef de la police depuis dix ans, expose les faits. L'enquête de moralité sur Alan Vermont est accablante. Depuis qu'une victime prénommée Lena a porté plainte pour harcèlement et abus de confiance, les choses se sont accélérées. Une enquête a débuté et les soupçons qui pèsent sur Alan Vermont sont de plus en plus lourds. Le profiler est formel, Alan est un pervers narcissique, psychopathe qui prend plaisir dans la souffrance de l'autre. Le psychiatre présent acquiesce et semble d'accord avec ce diagnostic qui correspond parfaitement au témoignage de Lena. Malheureusement, le corps de police manque de preuves. Et Alan Vermont est une star montante de la musique qui devient de plus en plus intouchable. Il est adoré et adulé de tous. Une fausse accusation aurait de mauvaises répercussions sur la police. C'est pourquoi ils se doivent de rester prudents.

- Nous savons qu'il opère dans sa maison de campagne à Val de Loire. Son modus operandi est à chaque fois similaire, explique l'une des enquêtrices. Début juin de chaque année, il organise un concours via son fan-club. Il promet un week-end de rêve en sa compagnie à trois gagnants. Mais le match est truqué. Quand il reçoit la liste des participants, c'est lui qui choisit les gagnants. En général, ses victimes sont des jeunes, hommes ou femmes, entre 20 et 30 ans. Il étudie la situation de chaque personne et les trois élus sont toujours ceux qui sont les plus instables ou fragiles émotionnellement. Il leur vend alors du rêve, il les amène dans sa maison et puis...

Elle marque une pause. Son timbre de voix se casse pour prononcer les mots suivants qui sont difficiles à exprimer.

- Et puis... il les brise ! continue-t-elle non sans peine. Il gagne de l'emprise sur ces personnes. Il les manipule. Il va les pousser à commettre les pires des atrocités. Ça va de l'humiliation sexuelle au meurtre. Ça me fait mal de le dire, mais Alan Vermont est un homme intelligent. Il sait isoler chez une personne quelle est exactement sa faiblesse. Il s'en sert pour mettre sa victime fasse à ses peurs et ses angoisses. Mais il ne les tire jamais vers haut. Lui, ce qui l'intéresse, c'est de les voir sombrer. C'est un psychopathe, il n'y a pas de doute.

- Êtes-vous certaine de ces informations ? demande Jean-Yves.

- Il a tout avoué à Lena.

- Cette Lena... se trouve dans un hôpital psychiatrique. Elle est enfermée depuis deux ans. Vous pensez vraiment qu'on peut se fier à son témoignage ?

- Je sais qu'elle dit la vérité ! C'est lui qui l'a mise dans cet état. Je sais aussi qu'on manque de preuve. Mais si on ne fait rien, il continuera son jeu malsain. Des vies vont continuer à être brisées. Des gens vont continuer à mourir. Pas plus tard que l'année passée, le suicide de Luc Zanerti n'est pas un hasard. Lui aussi a fait un petit séjour dans la maison de campagne d'Alan.

- Et donc, que préconisez-vous ?

- Le concours a déjà été lancé. Cette fois-ci Alan monte d'un cran.

- Comment cela ?

- Plus il fait de victimes, plus il en veut. Alors, il a décidé de corser le jeu. Il ne va pas seulement choisir des jeunes solitaires, presque sans famille, ou des célibataires. Non, cette fois, il va plus loin. Je sais de source sûre qu'il va choisir dix personnes d'âges et d'horizon différents.

- Dix personnes ? s'enquit Jean-Yves.

- Oui ! Je suppose qu'il a besoin de nouveaux challenges. J'ai donc pensé que c'était une opportunité pour nous. Nous allons nous infiltrer ! Pour cela, j'ai choisi Catherine, mon meilleur agent. Elle a la trentaine, veuve et triste. Nous lui avons créé un profil assez allécheur et plein de mystère pour qu'Alan soit attiré. Sur son compte Facebook, on a laissé quelques indices qu'il ne pourra pas ignorer.

- C'est-à-dire ?

- Elle expose un peu sa vie. Par exemple, elle a fait un accident de voiture alors qu'elle était enceinte. Son mari est mort sur le coup et elle a perdu l'enfant à cause de cela. Une tragédie qu'Alan aimera exploiter.

- Parfait ! Catherine est-elle prête ?

- Oui, elle l'est.

- Mais comment savez-vous qu'il a subitement changé son modus operandi ?

- Nous avons quelqu'un qui travaille pour nous dans le fan-club en question. Si Lena a bien voulu porter plainte, c'est grâce à sa meilleure amie. C'est elle qui a insisté. C'est elle qui est venue nous trouver en premier pour nous dire qu'il fallait mettre un terme aux agissements d'Alan Vermont. Elle a vu sa meilleure amie perdre la raison à cause de ce type et elle est prête à collaborer pour qu'on arrive enfin à le coincer. Elle va donc travailler de concert avec Catherine.

- Et qui est cette femme ?

- Elle s'appelle Nora. Elle est le leader du fan-club d'Alan !


Vendredi 6 juillet. Derrière le bar de l'Hôtel Regina Louvre

Une oreillette qui clignote dotée d'un bouton d'appel assez discret. C'est ce qui vient de tomber de la poche du pantalon de Catherine. Elle s'est bien gardée de dire qu'elle avait ce genre d'appareillage. Et pour cause, personne n'en possède parmi la population. J'ai déjà vu ce genre d'oreillette. Elle ne permet pas seulement de téléphoner. Un émetteur intégré autorise non seulement une communication sécurisée via satellite, mais aussi la localisation instantanée de l'appareil. Et la seule personne qui a été si fière de me présenter ce genre d'outil était un policier qui voulait m'impressionner. Catherine fait donc partie de la police ! Elle a essayé d'intégrer le club des dix pour me piéger ! Sur le moment, j'ai du mal à réaliser que la police est à mes trousses. Puis, je me rends compte que Nora a tiré sur un policier et que la situation devient incontrôlable.

- Quoi ? Elle est morte ? demande-t-elle livide.

- Non... je réponds fébrilement. Je crois que c'est pire que ça. Catherine fait partie de la police. On ne peut pas la garder avec nous. On doit s'en débarrasser. C'est la seule solution Nora.

- Tu n'as pas à me dire ce que je dois faire ! Je te rappelle que c'est moi qui ai le revolver en main, pas toi !

- Tu sais pourquoi je te dis cela, n'est-ce pas ? Je pense que c'est dans notre intérêt à tous les deux ! Tu dois te débarrasser de Catherine.

Elle baisse la tête, complètement perdue. Elle a besoin de réfléchir. Mais le temps passe déjà trop vite. C'est trop tard. Arkaig se fraie un passage jusqu'à l'avant de la camionnette. Fébrilement, il nous annonce que Catherine vient de rendre son dernier souffle. Je regarde Nora un peu terrifié. Tout vient de basculer. Et à ce moment précis, je n'imagine même pas à quel point.

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant