Épisode 12 - Christine

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Vendredi 8 juin.

Quand Nora m'a envoyé la liste de tous les participants, je n'en croyais pas mes yeux. Il y en avait plus de 2500. Toutes ces personnes avaient joué pour pouvoir avoir la chance de passer un week-end en ma compagnie ! Je n'avais jamais atteint un chiffre si élevé. Pourtant, je n'avais pas fait beaucoup de publicités pour mes deux derniers concours. Les vainqueurs ne pouvaient pas non plus en faire... vu leurs états à la fin du week-end. Du coup, à part quelques photos prises le premier jour, où je montre nos sourires et notre joie, jusque-là rien d'autre n'a filtré sur mes véritables intentions.

Quand j'ai commencé, il y a deux ans, j'ai décidé de choisir seulement trois personnes par concours. Il a fallu que je m'organise, que je sache exactement comment j'allais m'y prendre pour les briser. C'est pourquoi je choisissais toujours des proies faciles. Il fallait que je trouve des personnes déjà prédisposées à la dépression et au désespoir. Pendant deux ans, j'ai considéré ces concours comme un exercice. Si je me suis amusé à les briser, c'était pour m'exercer pour le grand concours, le vrai challenge que j'allais m'imposer. On dira peut-être de moi que je suis un psychopathe qui prend plaisir en la souffrance des gens. Mais toutes mes victimes qui souffrent et qui ont souffert l'ont fait pour une quête bien plus grande. Cette année, c'est LE concours que j'attends depuis le début. Celui qui m'aidera enfin à obtenir ce que je veux : la vengeance. Car tous ceux que je choisirai auront un lien avec ma vie, mon passé et peut-être même mon avenir. Ces dix personnes ne le savent pas encore, mais elles m'appartiennent. Leur vie est entre mes mains et je vais enfin leur faire comprendre qui elles sont réellement. Je vais les mettre face à leurs péchés et il n'y aura que moi qui pourrai les expier !

Trouver dix victimes entre 2500 n'est pas une mince affaire. J'ai dû les classer par profil, sexe, emploi, état civil, etc. Ça m'a pris beaucoup de temps, mais regarder chaque photo me procurait un plaisir certain. Il me fallait une femme infidèle, j'ai sélectionné Isa. Quand j'ai vu qu'Arkaig s'était aussi inscrit, j'ai sauté de joie. Je les aurais tous les deux ! Il me fallait une jeune femme presque parfaite qui prend des cours de piano avec mon père : je l'ai trouvée en la personne de Madie. Il me fallait le frère de Luc... Ben s'inscrit tous les ans. Il me fallait Nora... parce que j'ai besoin qu'une âme innocente puisse me servir de conscience. Il me fallait une femme plus âgée, Lou ferait parfaitement l'affaire. Je n'ai pas encore trouvé les autres profils, mais ça ne va pas tarder.

Maintenant, il me faut une femme divorcée avec des enfants. J'examine les différents profils à ma disposition et je trouve Christine. Elle semble parfaitement désespérée pour moi. Alors, j'enfile mon costume noir et ma casquette de la même couleur et je m'en vais la suivre. J'adore cette étape ! Suivre mes futures potentielles victimes est vraiment jouissif. C'est comme si j'entrais dans leur intimité sans qu'elles ne s'en aperçoivent. C'est comme si je les violais sans en avoir à payer les conséquences.

Je suis assis sur un banc, juste en face d'une école municipale. Il est 18H, la garderie va bientôt fermer. La gardienne attend dehors avec les deux enfants de Christine. Elle est en retard. Je me cache derrière mon journal, mais je peux déjà apercevoir la colère et la déception dans le regard de ses enfants. Ils sont tristes de constater qu'ils n'ont peut-être plus l'importance qu'ils avaient quand ils formaient une vraie famille. C'est seulement à 18h10 que Christine, visiblement confuse, arrive enfin pour prendre ses enfants. La gardienne, pas très chaleureuse, lâche les enfants comme un paquet et s'en va aussitôt. J'observe Christine embrasser ses deux fils de 10 et 8 ans en leur demandant pardon. Les deux n'ont d'autres choix que d'acquiescer, mais ils sont contrariés. Je l'aurais été aussi. Chacun donne la main à sa mère et ils marchent tous les trois d'un pas rapide sur le trottoir mouillé. Je peux entendre de quoi ils parlent alors que je les suis à distance. Christine leur explique que ce week-end ils dormiront chez leur grand-mère et qu'elle ne pourra pas les garder. Un des deux garçons, le plus jeune, se met à pleurer. Il ne voit pas sa mère toute la semaine et maintenant elle les plante aussi pour le week-end. Je sais à cet instant précis que Christine est la candidate parfaite pour me rejoindre dans ma maison. Je n'ai plus besoin de la suivre plus longtemps, j'ai tout ce qu'il me faut. Mais lorsque je ralentis le pas, elle reçoit un appel sur son portable. Elle s'arrête de marcher. L'appel semble important. Je n'en crois pas mes oreilles. C'est l'hôpital. Il confirme son rendez-vous pour demain matin. Elle raccroche. De là où je me trouve, je peux ressentir sa forte détresse. Elle simule un sourire et reprend les mains de ses enfants pour continuer sa route. Mais demain ne sera pas un jour comme un autre. Demain sera un jour inoubliable qui la hantera toute sa vie. Demain, elle avortera de l'enfant de son amant.

Je n'arrive pas à réprimer mon émotion. Je m'arrête de marcher et je les observe s'en aller et disparaître le long de la route humide. Je viens de prendre un coup de poignard en plein cœur. Christine n'est pas seulement la candidate idéale, elle devient bien plus que cela. C'est elle l'élue. Ce sera mon visage qu'elle devra voir en dernier avant de mourir dans d'atroces souffrances.

Quand je la regarde désormais, c'est ma mère que je verrai. Cette femme qui a abandonné sa famille pour vivre une idylle avec un homme bien trop jeune pour elle. Cette femme qui ne s'occupait plus de ses enfants parce qu'elle était trop occupée à vivre son amour avec lui. Cette femme qui a avorté lorsqu'elle a appris qu'elle était enceinte de son amant. Cette femme que j'ai tant détestée. Cette femme que j'ai fini par tuer.


Lundi 9 juillet. 16 heures trente.

J'ouvre les yeux, un peu sonné. Je ne sais pas exactement où je me trouve. Je sens la froideur du carrelage sur mon dos. Je suis revenu dans la maison ! Couché sur le sol, je regarde autour de moi pour comprendre ce qui vient de se produire. Je baigne dans une mare de sang. Jelie et Isa gisent à côté de moi. Et ce revolver est encore pointé droit sur ma tempe. C'est la fin, je le sens. J'ai été trop loin. Beaucoup trop loin.

- Je t'ai retrouvé et je n'hésiterai pas à tirer s'il le faut ! s'écrie Christine en transe.

- Qu'est-ce que tu veux, Christine ? je demande horrifié.

- Je veux que tu me rendes mes enfants ! Je veux mes enfants ! hurle-t-elle à pleins poumons.

- C'est trop tard, Christine.

- Alors, c'est trop tard pour toi aussi ! rétorque-t-elle décidée.

Elle charge l'arme et me regarde avec des yeux froids et enragés. Je peux voir à travers son regard celui de ma mère quand elle a compris qu'elle allait mourir à cause de moi. Maintenant, les rôles sont inversés, mais tout est pareil. Je sais que mon heure a sonné comme elle le savait à son tour. Quelque part, je crois que je n'ai plus peur de mourir. Ce sera surement une libération. Et puis, ce week-end a été fructueux. Même si rien ne s'est passé comme prévu, j'ai eu ma vengeance, même au-delà de mes espérances. Alors je peux fermer les yeux et enfin prétendre au repos.

Christine charge l'arme avec détermination. Elle n'arrive plus à pleurer. Elle a perdu ses enfants par ma faute. Elle n'a plus rien désormais. Mais elle a payé le prix fort de son abandon. Aujourd'hui, tout comme moi, elle n'a plus que la vengeance comme réconfort. Sans hésiter, elle s'apprête à appuyer sur la détente. Elle veut me tuer, mais quelqu'un d'autre veut que je vive encore un peu de temps. C'est sans crier gare que mon sauveur tire à son tour une balle en pleine tête de Christine. Son corps, soudainement inerte, tombe à la renverse sur le mien. J'ouvre les yeux, et je vois enfin le visage de celui qui m'a accordé un sursis. Et je n'en crois pas mes yeux !

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant