Episode 15 - Jelie

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Mercredi 6 juin. Paris

La vapeur s'échappe de la douche qui coule à flots. Jelie aime prendre son temps le matin et activer la fonction massage pendant quelques minutes. Selon elle, commencer une journée sans une bonne douche presque brûlante ce n'est pas commencer du bon pied. C'est donc toujours avec regret qu'elle ferme le robinet et s'enroule dans un drap moelleux. Lentement, elle se rapproche du miroir pour admirer sa peau douce et bien hydratée. Elle se sent belle aujourd'hui. Il faut dire qu'elle a tout pour être heureuse. Après une adolescence passée en famille d'accueil, elle peut enfin regarder en arrière avec sérénité. Ses dix-huit ans ont été une libération. Elle a pu se prendre en main, faire des études, trouver un petit boulot, construire un avenir.

Un jour, dans un bar, alors qu'elle étudiait pour son dernier examen à la Faculté des Lettres à l'Université Paris-Sorbonne, elle a fait tomber un livre par inadvertance devant les pieds d'un homme souriant. Comme dans les films, c'est lui qui l'a ramassé et qui lui a rendu. Comme dans les films, il lui a proposé un verre et elle a accepté. Comme dans les films, elle est tombée éperdument amoureuse de lui. Cela fait un an qu'ils vivent une grande histoire d'amour. Elle n'a jamais connu un homme si attentionné, si doux et aimant. Et puis, leur relation est basée sur la franchise et sur l'honnêteté. Il lui a tout dit de sa vie et réciproquement. Ils ont un passé en commun : l'abandonnant affectif de leurs parents. C'est ce qui les unit le plus. Car il faut bien avouer qu'il y a tout de même une grande différence d'âge entre eux. Mais Jelie ne considère pas cela comme un handicap. Dix ans, ce n'est pas énorme.

Jelie a été abandonnée par sa mère quand elle avait onze ans. Elle était alcoolique et se droguait fréquemment. L'assistante sociale l'a enlevée à sa mère et depuis Jelie ne l'a plus jamais revue. Elle a été retrouvée morte quelques années plus tard près d'une benne à ordure, une seringue enfoncée dans son bras. Overdose. C'est la seule information qu'elle retiendra de sa mère. Toute sa vie n'a été qu'un cauchemar à cause d'elle. Pendant des années, elle en a voulu à la terre entière. Malheureusement, son père n'a rien fait pour l'aider. Au contraire, il passait son temps chez les prostituées. Il s'est suicidé le jour où Jelie a fêté ses dix-huit ans. Un sombre tableau qu'est son passé. Pourtant, à présent, elle peut voir l'avenir radieux, car l'homme qu'elle aime la protègera et l'aimera tout le restant de sa vie.

Avec grâce, elle s'habille d'une robe blanche. Un fin maquillage suffit à mettre sa beauté en valeur. Elle relève ses cheveux pour former un chignon sauvage. Le sourire en bouche, elle pousse la porte de la salle de bain et pénètre dans la chambre à coucher où je l'attends allongé sur le lit.

- Tu es magnifique ! je déclare les yeux brillants.

- Merci, Alan ! C'est toi qui me rends magnifique. Alors, quel est le programme d'aujourd'hui ? Tu as enfin trouvé toutes tes victimes ?

- Presque. Isa et Arkaig ont dû recevoir une réponse positive de ma part aujourd'hui même. Ils doivent être très heureux de partager un week-end avec moi.

- Je n'en doute pas. Isa fait vraiment ce que ma mère faisait avec moi. Elle me délaissait pour aller s'amuser avec des petits jeunes pendant que mon père allait voir des prostituées. C'était horrible.

- J'ai vécu la même chose. Isa et Christine sont les deux clés de ma vengeance. Et j'aimerais qu'une fois qu'on sera dans la maison on puisse un peu corser les choses.

- Tout ce que tu voudras, mon amour.

- J'aimerais que tu te rapproches d'Arkaig. Il a ton âge, vous avez plus ou moins le même profil, ça paraîtra donc naturel.

- Tu veux rendre Isa jalouse ?

- Oui. Je veux qu'elle crève de jalousie. Je veux qu'elle sorte de ses gonds.

- Considère que ce sera fait.

- Je n'aurais jamais pu trouver meilleure partenaire que toi ! je réponds satisfait.

- Et moi donc ! Et qui sont les autres victimes ?

- Ben... le frère de Luc, bien évidemment. Madie, l'étudiante de mon père. Et Anaïs, la question ne se pose pas.

- Et que fais-tu de Nora finalement ?

- Nora est la présidente de mon fan-club. C'est vrai qu'elle m'a demandé de faire partie de l'aventure. Au début, je n'étais pas très chaud, car elle ne correspond à aucun profil intéressant. Mais, je me suis dit qu'il n'y avait pas de mal à sacrifier une innocente ! Je lui ai fait croire que j'allais pimenter le week-end avec une arme factice, histoire de rendre le séjour inoubliable. Elle a adoré l'idée.

- C'est-à-dire ?

- Contre toute attente, elle m'a proposé d'utiliser une vraie arme. Elle savait même comment la rendre plus sensible.

- Je ne comprends pas !

- Elle m'a dit que les armes factices étaient facilement détectables et que si mon jeu devait fonctionner je devais utiliser une vraie arme. Et pour corser un peu le tout, elle l'a trafiqué pour qu'elle soit encore plus sensible à la détente. Évidemment, il n'y aurait pas de balles à l'intérieur.

- Je ne la savais pas si joueuse.

- Et je le suis encore plus puisque je vais m'arranger pour rajouter des balles à son insu.

- Je te reconnais bien là, dit-elle en riant.

- C'est fou ce que les fans sont prêts à faire pour leur idole !

- Tous des idiots ! rétorque-t-elle amusée. Et ensuite ?

- J'ai trouvé Lou. Quand j'ai vu sa photo, j'ai eu l'impression de voir ma grand-mère. Elle a le même style. Et je vais la faire souffrir comme ma grand-mère l'a fait avec moi.

- Il reste encore une place si je sais bien compter...

- Oui. J'hésite encore, mais il y a un profil qui me tente bien.

- Lequel ?

- Elle s'appelle Catherine.

- En quoi est-elle intéressante ?

- Cette femme n'existe pas. Tout ce qu'elle a mis sur les réseaux sociaux est faux. Et je ne sais pas pourquoi. Elle doit cacher un grand secret. Je pense que ça suffit pour l'inviter à ma maison. On va dire qu'elle est mon petit bonus.

Jelie se met à rire aux éclats. Elle s'approche de moi et s'allonge à mes côtés. Avec douceur elle m'embrasse sensuellement. Je n'ai jamais su lui résister. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis ce jour où je l'ai rencontré au bar, je suis devenu accro. Je ne sais plus me passer d'elle. Je crois que c'est la première fois que je ressens ce que les gens appellent de l'amour. Ou du moins, ça y ressemble.

Lundi 9 juillet. 12 heures 30.

Je suis ligoté et bâillonné sur une chaise dans une des chambres de la maison. À côté de moi, Jelie a subi le même sort. Elle me regarde d'un air terrifié. Nous avons été démasqués. Rien ne se passe comme prévu. Nous sommes placés face à un lit matrimonial. Sur celui-ci git Arkaig, ensanglanté. Il est mort pendant la nuit du samedi au dimanche. Son corps commence à sentir et à se putréfier. Les fenêtres sont fermées, l'odeur est insupportable. Mais Isa l'a fait exprès. Elle veut que nous fassions face à nos péchés comme je l'ai mise face aux siens.

Le visage pâle et tiré, elle entre dans la pièce munie d'un long couteau de cuisine. Elle est dans une colère noire. Néanmoins, elle évite de regarder du côté du lit. Voir Arkaig sans vie lui est insupportable. Elle s'approche dangereusement de Jelie et pose délicatement la lame sous son cou.

- Alors, Alan. Tu as pris plaisir à détruire mon idylle avec Arkaig. Qu'est-ce que ça fait de voir sa chérie sur le point de perdre la vie, hein ? Qu'est-ce que ça fait ? hurle-t-elle.

- Dis-moi ce que tu veux Isa, et je te le donnerai.

- Tu sais ce que je veux ! Je veux la clé de Sol ! Donne-moi cette foutue clé ou je tue Jelie devant tes yeux !

Jusqu'à la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant