- Joji, tu es sûr ? Je ne sais pas si c'est une bonne idée de sortir de la maison... Dit ma mère.
Elle tentait depuis plusieurs heures de convaincre mon père de nous laisser rester à l'intérieur. Mais rien n'y faisait, il restait campé sur ses positions. Je me mis à soupirer en passant mon sac à dos sur mon épaule. Je me dirigeais vers la porte sans attendre la réponse de mon père. Il ne reviendrait pas sur sa décision, je le savais parfaitement. Il avait certainement d'autre chose à penser que de savoir si les caprices de sa fille étaient bien respectés. Il était le Héro des Nations. Et aujourd'hui encore, il sauvait des vies. Si notre présence l'empêchait de se concentrer, je comprenais parfaitement qu'il veuille que nous nous éloignions. Même si je n'en avais clairement pas envie.
Ma mère me rejoignit, l'air peinée. Elle savait à quel point cette expédition me coûtait. Mais elle savait aussi que son mari ne changerait pas d'avis. Lorsqu'il prenait une décision, cette dernière était irrévocable. J'ouvris la porte à contre cœur et pris la direction de l'ascenseur. Ma mère ne parla pas. Elle respectait mon besoin de silence. Je sentis ma gorge se nouer lorsque je fis un pas au dehors. Encore un et les nausées prirent le relai. J'avançais ainsi jusqu'à nos gardes du corps, tous alignés devant l'immense bâtisse.
Trente étages. Je me concentrais sur ce chiffre comme s'il était ma bouée de sauvetage. Il y avait trente étages dans chaque immeuble. Je devais impérativement penser à autre chose. Chaque étage faisait trois mètres de hauteur. Ils nous conduisirent jusqu'aux rues commerçantes. Les immeubles variaient de trois pièces à douze par étage. J'entendis plus ou moins l'un des gardes chuchoter dans son petit talkie-walkie, puis je les vis se séparer pour couvrir plus de distance. Ils étaient faits pour que chaque classe sociale puisse y trouver son compte. Il n'en resta plus qu'un à nos côtés. Ces immeubles étaient d'un ennui mortel.
Je n'avais que rarement eu autant l'envie de courir. D'échapper à mes gardes et à cette sécurité qui n'était qu'apparente. De m'enfuir pour me calfeutrer dans un appartement. Mais je ne pouvais pas. Je devais rester là, sans bouger, entourée de gardes dont je ne connaissais même pas le nom. J'aurais aimé le leur demander, mais même ça je ne pouvais pas. Je n'en avais pas le droit. La seule chose que je savais, c'était que l'un d'eux avait les yeux étrangement bleus. Qu'un autre avait une cicatrice sur la joue. Que le troisième possédait trop de dents. Et que le quatrième toussait beaucoup trop. Je me mis à serrer les dents.
Il fallait que je pense à autre chose, à tout prix. Les marchands dans les étales, couvertes d'un voile blanc, se disputaient les rares clients. Je n'avais aucune idée de quoi prendre. Je n'y avais pas pensé. J'aurais pu acheter toute la rue sur un caprice. Je n'avais besoin de rien. J'étais la fille du Héro des Nations. Ce n'était pas comme si je possédais la moindre limite. Je pris une grande inspiration. J'étais la fille de celui qui avait rendu l'air respirable, l'eau potable, la terre fertile... Et j'en étais terriblement fière.
Je sentis le garde derrière nous se tendre. Je me mis à fixer ses yeux bleus alors qu'il chuchotait de nouveau des instructions dans son talkie. Effectivement, mon niveau en japonais laissait désespérément à désirer. Je n'avais rien compris. Mais ça ne devait pas être si important puisque le garde se détendit instantanément en voyant mon regard. Je pris une profonde inspiration. Il fallait moi aussi que je me calme. Il ne sert à rien de ressasser le passé. Il existe bien trop de scénarios pour qu'il se passe deux fois la même chose. Il avait raison. Il avait toujours raison. Pourtant, je n'étais pas rassurée lorsque je me remis à marcher, un sourire complètement forcé aux lèvres. Mais ça n'empêche pas les scénarios de finir mal plusieurs fois.
Je tentais désespérément d'expliquer au marchand que je voulais une pastèque. Je n'avais bien évidemment pas besoin de parler japonais pour qu'il me comprenne, mais je m'efforçais de faire tout comme. Je voulu frapper plusieurs fois notre garde, qui avait un mal fou à contrôler le début d'un fou rire. Je ne le fis pas. A la place, je continuais de parler un japonais plus qu'approximatif à une personne qui devait certainement comprendre parfaitement l'anglais et le français puisqu'il le fallait pour travailler ici. Je voulu me lancer dans des explications pour la... treizième fois, mais je fus stoppée par notre garde qui me plaqua sur le sol. Toute trace de rire avait quitté son visage. J'entendis la détonation au moment où mon corps percuta le sol.
La panique m'envahit instantanément. Est-ce qu'elle m'avait véritablement quittée à un moment ? Rien n'était moins sûr.
- Partez !
J'entendis à peine l'ordre du garde. Ma mère me releva et me tira vers une petite ruelle. Mes muscles, que la panique avait tétanisés, se remirent en route lorsque j'entendis le deuxième coup de feu. Je tenais toujours la main de ma mère. L'adrénaline me fit courir aussi vite que ce jour-là. Je sentis les larmes couler sur mes joues alors que mes poumons commençaient à me brûler. Je sentis quelque chose gigoter dans ma main, mais je n'y prêtais pas plus d'attention, trop pressée de m'éloigner.
Mais je fus bien obligée de m'arrêter à un moment, le souffle manquant. Mes mains se placèrent sur mes genoux alors que mon corps basculait en avant. J'avais l'impression d'avoir couru un marathon. Ou alors j'avais battu le record de cent mètres. Au choix. Puis mon cerveau se remit en marche. Mes mains. J'avais lâché ma mère. Ou alors c'est elle qui m'avait lâchée. Je ne me souvenais plus. La panique me repris de plus belle. Je me mis à regarder autour de moi.
Dîtes-moi que je n'ai pas fait ça. Dîtes-moi que je ne l'ai pas abandonnée. Je me mis à prier tous les Dieux sans croire en aucun. L'air me manquait toujours. Je n'arrivais pas à reprendre ma respiration. Qu'est-ce que j'ai fait ! Je sentis les larmes me monter aux joues. J'avais abandonné ma mère. Je l'avais laissée seule. Tout ça à cause de cette foutu terreur. Merde ! Je ne peux pas la perdre elle aussi.
Ce fut à ce moment-là que je compris. C'était elle qui m'avait lâchée. Je sentis mon sang quitter mon visage et mes mains se mettre à trembler. Elle avait tenté de me retenir. Je sentais encore sa main tirer sur la mienne. Je ne m'étais rendue compte de rien dans ma précipitation. Bon sang, comment j'avais pu ne pas le voir ? Comment j'avais pu ne pas voir qu'autour de moi, les immeubles n'étaient plus blancs.
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Little Angel
ActionLe monde a atteint un pic de pollution critique, tuant une grande partie de la population mondiale. Mon père est le sauveur de l'Humanité. Ou presque. A 17 ans, et je suis obligée de le suivre dans une mission diplomatique au Japon. Les Yakuzas ont...