Chapitre 8 : Accord

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Un long moment s'écoula sans que rien ne se passe. A vrai dire, je ne compris pas tout de suite ce qu'il me demandait. Son sourire ne le quitta pas lorsqu'il avança nonchalamment vers moi. Mon cerveau avait beau comprendre que la requête m'était adressée, il ne pouvait pas s'empêcher de penser au lit douillé qu'il avait vu à l'entrée du petit appartement. Je me forçais pourtant à me concentrer sur l'appareil que le chef... que Ren me tendait.

Il fallait que j'appel mon père pour lui dire que j'allais bien et qu'il devait arrêter les recherches sans quoi ma mère finirait dans un bordel. A moins que ce soit moi qui finisse dans un bordel. Je ne m'en souvenais plus. Je fronçais le nez. Je savais que j'oubliais quelque chose mais impossible de mettre la main dessus. Je finis par soupirer sans me rappeler de ce que je devais faire.

- Je crois que mon jouet est cassé...

Je sursautais quand la voix assez douce d'Ayano résonna dans la pièce. Je me mis à la détailler sans trop de raison. Elle était très belle quand elle faisait la tête. Elle ne paraissait plus aussi en colère que tout à l'heure, comme si la présence de son frère la calmait. Enfin, son frère, question de point de vue. Ses boucles blondes se secouèrent doucement quand elle comprit que je ne la lâcherais pas des yeux. Ses iris bleues me fixèrent un instant avant qu'elle ne se détourne un peu de moi. Je voulu capter de nouveau son regard mais elle semblait accaparée par autre chose.

Je finis par regarder dans la même direction qu'elle, frustrée. Je vis un téléphone et une main tendue vers moi. Cela m'agaça. J'avais envie d'un lit douillé, d'intimité, de calme, de plus de nourriture et d'un verre d'eau qui ne m'étoufferait pas. Ce dont je n'avais pas envie en revanche, c'était d'appeler mon père. Je n'avais pas envie de le décevoir, d'entendre la voix brisée de ma mère où son souffle inquiet contre mon oreille. Je n'avais pas envie d'entendre leur voix au risque de ne plus jamais vouloir raccrocher.

- Elle a les même réaction qu'une enfant... Je ne pense pas que ce soit trop grave, mais une soigneuse viendra quand-même l'examiner. Du repos devrait suffire pour ce qui est de sa réactivité. Le reste, je te laisse t'en occuper.

Ren venait de parler d'une voix très calme. Il secoua le téléphone devant moi et reprit tout aussi calmement :

- Dis lui que tu es en vacances, que tu as simplement besoin d'une longue pause et qu'il doit arrêter de s'inquiéter. C'est simple non ? Après je te laisserais tranquille.

Je me redressais un peu sur ma chaise. Je venais de me rappeler de ce que j'oubliais l'instant d'avant. Le mot-de-code. Je pris le téléphone un peu trop brusquement mais ça ne fit sursauter aucun de mes deux observateurs. Je composai le numéro de mon père de manière automatique. Avant que j'appuis sur le bouton d'appel, une main se posa sur moi. Je vis deux yeux ambre me fixer :

- Le téléphone est sur écoute, alors pas de bêtise. Je saurais tout ce que vous vous direz.

Il tapa son oreille gauche de sa main libre avant de me lâcher. Je fronçai le nez en reconnaissant le dispositif d'écoute que l'armée utilisait. Ça ne me rassurait pas de le savoir si bien équipé. J'appuyai sur le bouton d'appel et tentai de me concentrer. Mon père décrocha à la fin du premier bip.

- Allo ? Qu'est-ce qu'il se passe, du nouveau ?

Il avait l'air stressé. Je l'imaginais parfaitement se pincer l'arrête du nez en attendant des nouvelles qui ne venaient pas, tentant de calmer ma mère par tous les moyens. Je fus prise d'une bouffée d'émotion en les imaginant ainsi. Je secouais la tête. Il ne fallait pas que je flanche.

- Papa, c'est moi, Annabelle.

Il n'y eut plus aucun bruit derrière le téléphone. Puis j'entendis de nouveau sa respiration transpercer.

- Tu as la voix rauque je... j'espère que tu vas bien. Où es-tu, je viens te chercher.

Je déglutis, l'heure fatidique était arrivée. Je pris une grande inspiration avant de continuer :

- Non. Je vais bien et je ne veux pas que tu viennes me chercher. Je suis partie pour prendre du bon temps. Je suis au cirque actuellement. Je vais bien. Laisse-moi et ne me cherche plus.

Il ne répondit rien, cherchant certainement à comprendre ce que je venais de lui dire. La vérité étant que ma phobie des clowns faisait du cirque le dernier endroit où j'irais pour passer du bon temps. J'attendis un long moment la réponse de mon père. Elle ne vint pas. J'espérais qu'il comprenne, qu'il se rappelle de cette histoire. Cela faisait presque sept ans maintenant, il avait peut-être oublié.

- Je comprends, finit-il par dire.

Il semblait chercher ses mots, comme s'il avait envie de me crier quelque chose mais qu'il se retenait. Il prit une grande inspiration et continua :

- Je te reverrais dans plus de temps que ce que je ne pensais alors. J'espère que tout ira bien pour toi.

Une larme coula sur ma joue. Il n'avait pas compris. Il allait me laisser e débrouiller toute seule en étant persuadé que j'étais en vacances. Je retins un sanglot sous le regard désapprobateur de Ren.

- Au revoir papa... Dis à maman que je l'aime et...

- Essai de ne pas trop énerver les clowns, me coupa-t-il. Ils ne sont pas toujours très gentils. Mais je suis sûr que tout se passera bien. Tu es une grande fille maintenant.

Il raccrocha sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit. Je me retins de sourire. Il n'allait pas me laisser toute seule. Finalement, il avait compris mon message. Je n'eus pas le temps de me réjouir longtemps puisque le chef m'arracha le téléphone des mains.

- J'espère que tu as été convaincante. Si les recherches sont encore en cours d'ici demain matin, je mettrais mes menaces à exécutions.

- Mais, s'injuria Ayano, c'est trop court !

- Cela fait quatre jours que toutes les patrouilles de polices la cherchent. Tu ne trouves pas ça assez long toi ?

Le ton incisif qu'il avait employé n'admettait aucune réponse. Ayano serra les dents mais ne dit rien. Elle passa un bras qui se voulait protecteur autour de mes épaules. Je me crispais mais ne cherchais pas à me débattre. J'avais cru comprendre qu'elle ne me demandait pas mon avis quand elle faisait quelque chose. Ren finit par s'éloigner. Une fois sur le pas de la porte, il se retourna et fixa Ayano.

- N'oublie pas ce que tu m'as promis.

Je la sentis se redresser derrière moi.

- Tu mets ma parole en doute ?

La voix de ma nouvelle geôlière n'était pas aussi assurée qu'à l'accoutumée. Ren sourit avant de lui répondre :

- Jamais, petite sœur.

Il avait appuyé sur les deux derniers mots, leur donnant un sens que je n'étais pas en mesure de comprendre. Il sortit pour de bon et Ayano soupira. Elle regarda les barres de céréales restantes sur la table. Je déglutis doucement lorsqu'elle me fixa, l'air mauvais. Mais elle se contenta de les ranger et de sortir une bouteille au contenu étrange à la place.

- Ce sont des compléments alimentaires. Tu bois la bouteille et je te laisse aller dormir. Entendu ?

Je hochai la tête en comprenant que sa question n'attendait pas d'autre réponse. Je me rendis vite compte que le liquide était infect et épais. Ma geôlière ne me lâcha pas du regard, me coupant l'envie de recracher le contenu de la bouteille sur la table. Une fois que j'eus finis et reposé la bouteille, elle m'attrapa les joues et me força à la regarder.

- Maintenant tu m'appartiens.

Je sentis mes yeux se fermer sans que je puisse lutter alors qu'un sourire sadique se formait sur les lèvres rouges de mon nouveau cauchemar.


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