Chapitre 22 : Femme à la mer

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La peau d'ivoire d'Ayano devint le centre de toute mon attention en quelques secondes à peine. En quelques secondes, toutes mes pensées s'étaient tues pour ne plus remarquer qu'une seule chose : la beauté remarquable de ma gardienne. Il était même douteux que quelque chose d'aussi manifeste m'ait échappé tout ce temps. A croire que mes yeux étaient embués par quelques vapeurs que ce soit.

Cette pensée brisa instantanément le calme de mon esprit. Tout d'un coup, ce furent mille questions qui traversèrent mon esprit à des vitesses vertigineuses. Peut-être que je ne remarquais ces détails que parce que j'étais épuisée. Ou que les drogues qu'elle m'avait données continuaient de faire effets. Ou bien était-ce simplement mes hormones qui reprenaient le dessus. Je pariais dessus en contemplant la blancheur de son corps. A cet instant et sous cet aspect, elle semblait aussi pure qu'innocente. Mais je savais que ça n'était pas le cas. Pour la simple raison que je savais que, quelque part sur son corps, des tâches d'encre indélébiles effaçaient la clarté de sa peau.

Ils étaient cachés quelque part et ils réclamaient d'être découverts. J'aurais apprécié qu'ils soient visibles, qu'un simple regard suffise à les dénicher, mais ça n'était pas le cas. Elle finirait peut-être par me les montrer d'elle-même. Ou alors, lassée de ne pas les trouver, je le lui demanderais. Je n'étais pas sûr qu'elle accepte mais rien ne me disait qu'elle refuserait. C'était un risque à prendre et ma curiosité n'allait pas tarder à l'emporter.

Mais lorsque ses lèvres rencontrèrent les miennes, mes hypothèses furent balayées et l'idée d'aller les chercher moi-même ne me parut pas si mauvaise. L'invitation de son corps me paraissait claire, bien plus que mes idées en tout cas. Dans le chaos que mes pensées formaient, c'était elle qui me guidait. Mais je ne pouvais pas cesser de me demander si elle était le phare qui me guiderait loin des abysses ou bien la sirène qui m'y plongerait sans aucun remords. Mes convictions se retrouvèrent ébranlées comme l'aurait été la coque d'un navire en pleine mer. Et comme un marin qui craignait la noyade, j'avais besoin de retrouver l'air libre.

Je reculais d'un pas sous le regard léger d'Ayano. Elle parut moins surprise que moi par ma réaction et prit appuis sur la table nonchalamment. Je sentis la chaleur se propager dans mes joues alors que celle de mon bas-ventre disparaissait. Le désir que j'avais pu éprouver quelques secondes plus tôt venait subitement de disparaitre. Et si la surprise n'était pas ce qui couvrait le visage d'Ayano, l'agacement y était, lui, clairement visible.

- Je vous dérange peut-être ? Siffla une voix féminine derrière moi.

Mon sang se glaça lorsque je reconnu celle à qui elle appartenait. Je n'osais pas me retourner tant je craignais de croiser le regard de son gorille. Même si elle n'avait jamais parlé ma langue là-bas, j'aurais pu la reconnaitre entre mille. Et si sa voix me tétanisait autant, c'était bien parce qu'elle donnait des ordres à un homme aux poings que je connaissais bien trop.

- Oui, tu nous dérange. Qu'est-ce que tu veux Keiko ?

Ayano avait presque feulé ces mots tant elle était en colère. Et même si son regard n'exprimait qu'une haine immense, je refusais de m'en détourner. Toutes les colère de cette blonde ne me fichait pas autant de frissons que le regard de mon ancienne tortionnaire. Je priais pour qu'elle soit seule sans pour autant y croire. Ce serait trop beau. Et bizarrement, l'entendre parler ma langue ne me rassurait pas le moins du monde.

- Toujours aussi accueillante... je voulais seulement vous prévenir que votre frère allait s'absenter pendant quelques jours.

J'avais beau trouver que frapper sa fiancée était un acte horrible, je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'il était le seul qui pouvait empêcher Keiko de m'approcher. Un long frisson me parcouru et mes dents claquèrent. La pièce avait beau être froide, je savais que ça ne serait rien comparé à l'une de leur fichu cellule. Ayano s'avança assez pour échapper à mon champs de vision et je me rendis compte qu'elles ne parlaient français que pour que je comprenne. De nouveau frissons vinrent me parcourir. Je ne savais pas ce que Keiko voulait que je comprenne et je ne voulais pas le savoir.

- Il serait venu me le dire lui-même, il ne supporte pas me laisser seule. Qu'est-ce que tu viens faire ici ?

Le tutoiement d'Ayano était de plus en plus marqué. Un silence s'installa par la suite et ne rien voir n'arrangeait pas mon malaise. Ma curiosité finit par prendre le dessus et je me retournai. Ce fut une très mauvaise idée. Certes, le gorille de Keiko n'était pas là, mais le sourire sadique qu'elle affichait en aurait tué plus d'un.

- Je voulais seulement m'assurer qu'elle saurait que je pourrais venir plus souvent lorsqu'il sera parti. Il m'en a donné l'autorisation, pour ne pas que je m'ennuie.

Mon corps entier se couvrit de frisson au même instant, contractant chacun de mes muscles par la même occasion. Comment ça, pour ne pas s'ennuyer ? J'étais presque certaine qu'on ne jouait pas au même jeux. Et j'étais sûre de ne surtout pas vouloir lui servir de jouet.

- Alors je serais ravie de t'accueillir.

Ayano avait parlé d'une voix calme et posée mais il était impossible de se tromper sur ses intentions. Son accueil serait tout sauf chaleureux. Mais la suite de sa phrase ne me rassura pas pour autant :

- Parce que c'est avec ma poupée que tu demandes à jouer. Ne l'oublie pas trop vite.

Keiko sortit un couteau du tiroir. Qui a eu l'idée de la laisser s'approcher de ce putain de tiroir. D'ailleurs, depuis quand ce putain de tiroir existe ? Je reculai d'un pas malgré moi, me prenant bien évidemment la table, histoire d'être discrète. Tous les regards se tournèrent vers moi et j'eus du mal à déglutir sans m'étouffer.

- Sur ce, dit Keiko en reposant le couteau, il est tant que je prenne congé.

Elle s'inclina sans que cela me paresse respectueux et s'éloigna. Même lorsque j'entendis au loin la porte glisser et se fermer, je ne bougeais pas. Je ne sus pas combien de temps s'écoula ainsi mais Ayano me sortit de mes pensées en me tendant un verre d'eau. Elle n'avait pas encore l'air de s'être calmé et je préférai boire pour ne pas la contrarier davantage.

- Ne t'en fais pas, tant que tu resteras avec moi, il ne t'arrivera rien. Elle n'est pas assez idiote pour s'en prendre à l'un des dragons...

« Les treize dragons sont les mots de notre monde ». C'était ce que mon père ne cessait de me répéter depuis mon enfance. Alors même si ça ne devait avoir aucun rapport, je ne pus m'empêcher de demander :

- Et qu'est-ce qu'un dragon ?

Ayano sourit et retira son haut sans un mot et relava ses cheveux dans un geste souple. Elle me tourna le dos et je compris qu'elle ne pouvait pas être autre chose qu'une sirène.

- Un dragon n'est que celui qui porte cette marque.

Je savais que c'était faux, qu'un dragon était bien plus que cela. Qu'une simple marque dans le dos. Mais cette marque signait l'arrêt de mort de quiconque s'y opposait. Je ne l'avais vu qu'une seule fois, au dos d'un prisonnier de guerre. Il s'était lui-même arraché la peau du dos pour ne pas avoir à déshonorer ce qui le lui avait donné.

Tout le long de son dos, une encre aussi noire que la nuit dessinait des millier d'écailles plus sombres le une que les autres. Elles commençaient du sommet de sa nuque et descendait plus bas que son dos dans une danse macabre qui ne laissait présager rien d'autre que la mort. Lorsqu'elle bougeait, le dessin semblait onduler sur sa beau, rendant vivant ce que je ne pouvais pas voire autrement qu'un danger. Au creux d'une des ondulation se trouvait un tatouage que j'avais déjà vu sur le cœur de Ren. Le même Ying entouré de nuage noirs et le même Yang entouré de brume blanche. Le même tatouage à cette exception près.

Si l'ouroboros de Ren était d'un bleu aussi sombre que la nuit, celui d'Ayano était aussi rouge que le sang.

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J'espère que le chapitre vous a plu et je vous dis à la semaine prochaine !


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