Chapitre 1

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Adélaïde a toujours été différente. Elle l'a toujours su, cependant elle ne se doutait pas à quel point elle pouvait l'être.

Depuis qu'elle est capable de penser par elle-même le monde lui semble étrange, elle ne s'y sent pas à sa place. Les couleurs, les senteurs, les formes, les gens ... rien de tout cela ne lui paraît familier. Pourtant toute sa vie Adélaïde a côtoyé ces choses, elle a tenté de les apprivoiser, de s'en rapprocher quitte à devenir quelqu'un d'autre. Or jamais une seule de ses tentatives n'a fonctionné. Elle est perpétuellement repoussée par ce monde étrange dans lequel elle a grandit.

Même ses propres parents l'ont repoussé.

Ses parents l'ont abandonné ... indirectement. Ils ont brûlé dans leur appartement, l'enquête n'a pas été concluante et s'est soldé par un abandon de la police. En effet « aucune source électrique ou de gaz ne peut être la source de l'incendie, le point de départ du feu est introuvable c'est comme si la pièce s'était mise à brûler de toute part en un instant. »

Il paraît que tout était en cendres sauf un petit berceau dans un coin d'une chambre à coté d'un tas d'os calcinés. Le tas d'os s'appelait Éric Bucklay, son père, enfin du moins ce qu'il en restait. À l'intérieur du berceau se trouvait un nourrisson, braillant aussi fort qu'il le pouvait, nu comme un vers et rouge comme un homard. Le gigot hurlant c'était elle, l'Adélaïde d'il y a dix-neuf ans. Puis un peu plus loin, dans la cuisine, un deuxième tas de cendres osseuses s'étalait sur le sol, ça c'était Alicia Bucklay anciennement sa mère. Pour revenir au gigot hurlant dans le berceau, vu les circonstances de l'accident elle a été considérée comme miraculée. Il est vrai que survivre à un feu éclair débarqué d'on ne sait où dans lequel ses parents ont finit en poudre de cheminette et en être la seule survivante est quelque chose de miraculeux.

Autrement dit Adélaïde ne sait rien de son passé. Seul ce feu dévastateur et deux noms lui servent d'arbre généalogique. Un arbre fumant, mort et complètement pourris depuis longtemps. Ne rien savoir de ses origines est son plus grand tourment. Connaître l'histoire de ses parents l'aiderait à répondre à la question qu'elle se pose depuis des années et à laquelle personne ne peut répondre « qui est-elle ? ».

Adélaïde a grandit seule sans personne pour la soutenir ni lui expliquer les choses de la vie. Elle n'a eu aucun point d'accroche à ce monde, aucune épaule sur laquelle pleurer dans les moments difficiles ni personne pour l'écouter. Elle a apprit à se débrouiller seule depuis toutes ces année et se retrouve aujourd'hui à dix-neuf ans avec une vie sociale des plus médiocre, à devoir alterner études et travail pour se payer un appartement minable et miteux dans un quartier peu fameux dans une des plus grandes villes du pays où les gosses de riches se pavanent et où les voyous pillent et agressent sans interruption.

Cela fait seulement un an qu'elle est sorti de l'orphelinat dans lequel elle a passé toute sa vie et déjà elle est à la limite du burn-out. Enchaîner l'université et le travail la soirée et le week-end est épuisant. Cependant ça ne peut pas être pire que lorsqu'elle était enfermée dans sa prison. Étant différente des autres et se mettant naturellement à l'écart Adélaïde était la cible de la frustration des autres enfants, ce qui la confortait dans l'idée qu'elle n'était pas à sa place dans ce monde pourris où rien ne se montrait accueillant.

Malgré le fait que quitter l'orphelinat la faisait entrer dans le monde impitoyable des adultes c'était pour elle la délivrance qu'elle espérait depuis bien longtemps. Finit les insultes gratuites du matin au soir, finit les bizutages à minuit où elle se retrouvait nue au milieu de la cour enneigée, finit la haine et le mépris à son égard. Du moins pour une période diurne et nocturne allant du premier janvier au trente-et-un décembre. Désormais elle ne supporte ça qu'en cours, ce qui réduit considérablement la nécessité de prendre sur elle et de se montrer indifférente. En réalité chaque insulte la blesse un petit peu plus à chaque fois, lui donnant plus que jamais l'impression d'être une moins que rien.

La Fille des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant