Chapitre 14

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⁃ Que gagnerais-je à te mentir ? Quelle serait ma satisfaction ?

⁃ Avoir berné celle que tout le monde berne, et qui sait ? La mettre plus bas que terre en arrivant à lui faire croire l'impensable pour ensuite le retourner contre elle. Puis crier sous tous les toits sa naïveté, faisant profiter les autres de ton nouvel angle d'attaque pour qu'ils te joignent dans ton harcèlement. Enfin tu aurais alors prit tout ce qui lui restait : sa dignité. Alors vous auriez enfin gagné, vous n'auriez laissé qu'une coquille vide pleine de souffrances et de tristesse. Dans ce cas la petite coquille vide se demanderait si la vie vaudrait encore le coup d'être vécut. Elle ne trouverait pas de solutions, pas d'espoir de s'en sortir, rien. La petite coquille vide mettrait alors fin à ses jours et alors là, et seulement là, vous auriez la victoire suprême. Vous seriez allés au bout du jeu, cependant il n'y aurait pas besoin d'aller au générique. Ce serait inutile puisque l'actrice principale, détestée de tous et haït sans aucunes autre raisons que sa différence, serait oubliée. Elle serait oubliée tout simplement parce que ce n'est qu'un jouet qui sera très vite remplacé, bientôt ce sera le tour de quelqu'un d'autre.

⁃ Ne me mets pas dans le même sac que ces connards ! Je ne suis pas comme eux et je ne serais jamais comme eux et tu ne seras pas une coquille vide.

⁃ Dans ce cas prouve moi que tu as raison. Vas-y ! Montre moi les licornes magiques et les dragons sanguinaires ! Fais-moi peur avec des démons et fais-moi rêver avec des anges ! Prouves moi que tout ton baratin est la pure vérité et seulement là je te croirais. Ce n'est qu'à ce moment précis que j'accepterais de croire en toi et d'accepter le fait que tu es différent d'eux.

⁃ Comment peux-tu ...

Un bruit sourd retentit, suivit d'un autre puis d'encore un autre. La forêt semble s'écraser sur elle-même, des craquements par milliers résonnent pareils à ceux du crâne du pauvre homme contre la vitre, faisant remonter l'odeur de sang dans le nez d'Adélaïde. Les arbres tombent à la chaîne dans une suite infinie, emportant le suivant à une vitesse folle. Leurs troncs n'ont pas le temps de toucher le sol qu'ils sont déjà emportés haut dans le ciel, au milieu de nombreux débris destructeurs. Bientôt il ne restera de leur passage qu'un désert de mort et de désolation.

Le néant s'ouvre devant les deux jeunes, paralysés par la peur. Leur survie se joue à seulement quelques secondes, perdre leur temps est un luxe qu'ils ne peuvent pas se permettre. Pourtant ils sont pétrifiés, se condamnant à une morte certaine.

Adélaïde sait qu'ils n'auront pas le temps d'arriver à la voiture, elle sait qu'ils n'auront pas le temps de mettre assez de distance entre eux et la tempête. Adélaïde sait que ce soir-là elle vit ses derniers instants, qu'elle respire cet air gorgé de pollution pour la dernière fois, qu'elle sent le vent frôler son corps dans une ultime caresse. Elle n'aura pas vécut comme elle le souhaitait, ni découvert ses vraies origines, pas plus qu'apprit à avoir confiance en elle. Cependant elle ne regrette rien, parce que ce soir elle a finalement ressenti quelque chose qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant : la sérénité.

Devant les portes de cet enfer éternel Adélaïde n'a pas peur. Elle se sent prête et ne faiblira pas. C'est alors armée de son courage qu'elle attend, le menton fièrement levé que la mort vienne la prendre.

Erwan ne bouge pas. Il ne s'attendait pas à ce que la tempête les rattrape si vite. Un court instant il se perd dans la contemplation des éléments déchaînés, il se surprend à y trouver une certaine beauté. La force de destruction de la nature est presque équivalente, voir plus puissante encore, que sa capacité de création. Elle peut se montrer généreuse, comme terriblement avare et tout reprendre en seulement quelques secondes. L'équilibre des choses doit être maintenu, même si certains doivent périr pour cela. Tel est l'ordre des choses et il faut le respecter. Si la nature juge qu'un événement est nécessaire c'est qu'il doit en être ainsi. Elle a cette notion d'égalité dont seule elle est maîtresse, elle ne regarde pas qui elle frappe avant d'intervenir, elle prend celui qui se trouve sur son chemin sans faire attention à qui il est ou ce qu'il a fait. De ce fait n'importe qui peut être sa cible, et ça c'est l'égalité. Le fait que le sort ne puisse pas être influencé par la personne que nous somme nous met tous dans le même panier.

Nous finirons tous par mourir c'est inévitable. 

Toutefois Erwan ne se sent pas prêt à faire le grand pas et préférerait profiter de la vie encore un petit moment. La mort ne disparaît pas du jour au lendemain, elle sait y faire, plongée dans une patience sans faille.

Seule une poignée de secondes le sépare de la fin de son existence, il doit agir vite. Au moment où il avance son pied pour se mettre à courir un gigantesque tronc d'arbre se détache du sol quelques mètre devant lui. Le tronc est projeté à une vitesse folle si bien qu'il est presque impossible à éviter. Une sueur froide parcourt le dos d'Erwan, il semble être perdu. Cependant l'impensable se produit.

À la seconde où il entre en collision avec le jeune homme, l'arbre se décompose et vole en milliers de petites braises incandescentes. Dans un spectacle d'une incroyable beauté le nuage fumant s'ouvre sur une ombre qui fuse à toute vitesse en direction d'Adélaïde. Cette dernière reste en admiration devant les nuances de rouges, d'orange et de noir qui volent dans l'air. La caresse brûlante des braises ne la dérange pas, elle y trouve presque un réconfort.

Quand l'ombre se trouve à son niveau, elle reconnaît la carrure imposante d'Erwan et avant qu'elle n'ai eu le temps d'ouvrir la bouche pour lui crier de faire attention à la voiture qui s'envolait à toute vitesse sur lui, il fait un bond dans les airs et retombe gracieusement. Ses bras musclés la prennent avec force par la taille.

Erwan se penche en avant et colle son front au siens. Leurs cœurs battent à tout rompre au rythme des hurlements du vents, des arbres et des débris qui sont sur le point de les pulvériser. Leurs souffles se mêlent pour ne former qu'un. Adélaïde s'apprête à ouvrir la bouche mais Erwan l'en empêche. Son pouce caresse lentement ses lèvres, traçant leurs contours sans franchir l'interdit. Il prononce une simple phrase : « Ferme les yeux », et le monde se ferme devant eux.

La Fille des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant