- lettre d'un poilu -

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Vendredi 9 novembre 1917,

Chère 𝒜𝑒𝓁𝒾𝒶,

     Si j'avais pu imaginer ce qui m'attendait, jamais je n'aurais décidé de mon plein gré d'aller sur le front. Je me suis engagé pour protéger ma chère petite sœur, Louise. Je pensais que la guerre était belle, je voulais que mon père soit fier de moi... Voyez-vous, je n'ai jamais été quelqu'un de très courageux, je fuyais les problèmes, alors j'ai pensé que... Que si j'allais défendre la patrie, défendre mon pays, mon père me regarderai différemment. Qu'il me regarderait comme un homme, plus comme un petit garçon fragile qui a besoin qu'on le protège... Je voulais le rendre fier.
Je voulais être un héros.
N'est-ce pas là, le rêve de tous les petits garçons ?
     Si vous saviez, Aelia, comme j'ai eu tort ! Ce n'est pas comme ils l'avaient promis, la guerre ce n'est pas beau. Tous leurs grands discours n'étaient qu'un ramassis de mensonges. Ils nous ont menti, Aelia, en nous regardant droit dans les yeux, en serrant nos mains dans les leurs ! La guerre c'est le sang, la douleur, la colère, la tristesse, la folie, c'est l'enfer... La guerre c'est la mort.
     On nous envoie au front contre des allemands mieux armés que nous ; si vous saviez comme c'est atroce de voir ses camarades, qui sont devenus des amis, que dis-je, des frères, tomber dans le boyau, touchés avant même d'avoir eu le temps d'armer leur fusil, d'en voir d'autres hurler de douleur, un membre arraché par l'explosion d'un obus ou d'une grenade !
     À chaque fois que la mort frappe, nous autres, les survivants, avons une pensée pour ceux qui sont tombés, qui ne reverront plus leur famille, ne sentiront plus le soleil brûler leur visage... Ceux qui n'auront, tout simplement, pas le droit à un avenir. Tout en ayant en même temps, une pointe de jalousie, ils sont enfin libérés de cet endroit de malheur. Et pour eux et aussi pour nous, nous nous battons tout de même encore plus fort, avec encore plus de rage, pour permettre à d'autres de voir demain.
     Mais le pire, je crois bien que c'est l'odeur des cadavres qui sature l'air des tranchées dans lesquelles nous vivons. Les visages de ceux qui sont tombés me hantent jours et nuits, tout comme je ne pourrais jamais oublier le visage de ceux que j'ai dû abattre...
     Et comment pourrais-je effacer de mon esprit le visage de celui à qui un lieutenant avait cousu les lèvres pour avoir osé exprimer un avi différent. Parce que oui, nous avons tenté de faire l'insurrection. Nos supérieurs ont fusillé plusieurs soldats qui étaient tous mes amis (vous savez, nous sommes tous amis là-bas) et mutilé d'autres pour nous donner la plus cruelle leçon de notre existence.
     J'ai l'impression d'être une bête inhumaine... Ce sentiment de culpabilité me ronge petit à petit, je m'éteins. Pourtant, si je continue de me battre, de manger cette nourriture infâme, de dormir trois heures par nuit à même le sol, de vivre avec l'odeur de la mort et les cadavres que les bombes ennemies ont délogé, c'est parce que vous êtes mon espoir, mon rêve d'avenir. Vous et Louise êtes mes raisons de vivre. C'est pour vous que je me lève courbaturé et mort de fatigue à toute heure du jour ou de la nuit, c'est pour vous et tout mes frères d'armes que je me bat encore plus dur, avec plus de hargne et de froideur. C'est pour vous que je continue de respirer, de vivre.
     Ah, si vous saviez comme ma désillusion est immense, à quel point je souhaite plus que tout la fin des combats, la paix, la fin de toute cette violence, cette haine. Je le souhaite pour moi, pour tout ceux encore en vie et aussi pour le peuple ! J'aimerai tellement voir demain, mais malheureusement, rien n'est moins sûr...
     Je pensais sincèrement que la guerre était belle, mais je me suis lourdement trompé, je n'ai jamais rien vu d'aussi laid.
     J'ai commis une erreur en me portant volontaire, une erreur qui me coûtera peut-être la vie, mais comme on dit : « l'erreur est humaine ».
     Vous savez, maintenant, nous avons une phrase que l'on dit à chaque nouveau soldat qui débarque : « Nous sommes heureux que tu sois là, même si nous en sommes désolé. ».
     Aelia, je suis heureux que vous soyez ma marraine, même si je suis désolé que vous deviez lire de telles horreurs, ne m'en voulez pas, j'ai tant besoin d'épancher mon cœur.
J'espère vivre assez longtemps pour vous rencontrer en personne.

Votre poilu qui vous embrasse bien fort,

Alban.

Au clair d'une lueur artificielle (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant