- tu ressembles à papa -

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[ Tekla ]

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[ Tekla ]

     Dans sa tête autrefois brune il fait noir, même le soleil qui brûle ne parvient pas à passer au travers de la mélasse étrange qui enserre son cerveau. Son cœur est lourd comme un nuage entre ses côtes, ses doigts glacés comme l'eau de pluie de cette journée d'octobre qui ruisselle partout, se faufile partout, jusque dans les pores de sa peau à travers le tissus trempé de son vêtement si rêche. Le temps passe à travers sa bulle, il ne lui manque plus qu'un morceau de ciel pour remplacer le bleu délavé de sa robe et son mélancolique bonheur sera au paroxysme.

Des feuilles mortes tombent autour de son corps frêle, et aujourd'hui, ça lui donne l'impression de voir les sycomores sangloter comme des saules pleureurs. Le vent joue sur son crâne lisse. Ses cheveux longs lui manquent, les tresses, les queues de cheval, les chignons, les dizaines de possibilités. Sa respiration est forte, elle lui donne l'impression que l'air fuit ses poumons comme si lui permettre de vivre le tuait.

Ses pupilles ocres un peu vitreuses sont plongées dans l'observation du paysage. Rien à faire d'autre pendant ce bon vieux jour sans fin, rien d'autre à faire que de regarder les arbres rougir, malmenés par le mistral, de rire des quelques passants qui courent sur les pavés défoncés de la vieille cour intérieure pour fuir la météo. C'est triste, c'est pourtant si joli une tempête. Ses mains aimeraient frôler à nouveau les bancs rayés, rouillés comme ses articulations, les pieds nus dans l'herbe encore verte. Flatter Pavel, le chien pataud qui traîne toujours non loin, s'amuser avec ses amis.

Un pressentiment inhabituel résonne dans sa chair tendre, jusque dans ses os. Le secret abrité dans son sein depuis quelques mois maintenant va éclore comme un bourgeon, fleurir et tout emporter. Fleur ravageuse. Ses parents n'ont jamais voulu lui dire le nom de ce secret, mais bientôt, c'est sur, tout fera sens. Impossible de savoir pourquoi sa joue est encore humide des larmes que son père a versé en l'embrassant ce matin, ni pourquoi les mains de sa mère tremblaient tant.

La brune sursaute quand la foudre frappe non loin et sa gorge se serre. Son poignet qui tremblote fait s'entrechoquer les petites perles en plastique de son bracelet. La tristesse est dévorante sans raison aujourd'hui. Cette sensation... c'est presque surnaturel. Comme si toutes les couleurs étaient délavées, fatiguées, les saveurs endormies, les sons trop lointains...

Son sang stagne dans ses veines, brûlant, dévorant, empoisonné. Il déchire son corps de l'intérieur, mais aujourd'hui, la douleur la tiraille moins, comme si elle aussi était à bout de force.

Ses yeux se perdent dans ses lignes bleues. Des interrogations plein son petit crâne, on lui a dit qu'elles sont rouges ses veines, mais pourtant c'est du bleu qui ressort sur sa peau pâle, pourquoi ne pas les percer et voir, voir s'il en coulerai du rouge ou du ciel.

Quand ses parents reviennent lui rendre visite dans l'après-midi, ils ne sont vraiment pas contents de la voir trempée jusqu'aux os. Mais peu importe, ils lui ont parlé de la maison, bientôt, c'est promis, ils mangeront les fameux pirojki de Lev sur la grande place rouge, juste devant Basile-le-bienheureux et ses immenses coupoles aux couleurs si vives et aux formes variées. Malgré la perspective de revoir cette vaste esplanade rectangulaire bordée au sud par le Kremlin et au nord par le magasin Goum, sans oublier le grand musée visité une fois avec son père et les immenses portes Ivères, la tristesse inexplicable qui l'habite depuis le matin refuse de quitter sa moelle, elle se mue d'ailleurs en une étrange mélancolie... presque lasse.

Son esprit est bien trop jeune pour comprendre. Son joli visage plus pâle que celui d'une poupée de porcelaine, ses ongles peints de toutes les couleurs et ses ails de fée accrochées au mur.

     Sa mama retire alors le foulard coloré qui enserre élégamment sa tête.

Ty lysyy. (tu es chauve)
La remarque est étonnée, le ton enfantin,
ty vyglyadish' kak papa... (tu ressembles à papa)
Ses dents blanches dépassent de ses lèvres un peu sèches tandis que sa mère glisse sa main sur la petite tête autrefois garnie de brun.

YA bol'she pokhozh na tebya, contredit-elle. (je te ressemble plus)
u tebya krasivyye glaza. YA predpochitayu tebya s etim razrezom. Po krayney mere, my mozhem videt' tvoi glaza, murmure le petit être frêle. (tu as de beaux yeux. Je te préfère avec cette coupe. Au moins on peut voir tes yeux...)

La mère sourit tandis que le père serre les dents.

— Pochemu vam grustno ? YA deystvitel'no ne znayu, moye serdtse pokhozhe na zefira, rit l'enfant. on legkiy, no vesit na zhivote! (pourquoi vous êtes tristes ? Moi je sais pas trop, c'est bizarre mais, j'ai le cœur comme un zefir, rit l'enfant. Il est tout léger, mais pèse sur l'estomac.)

Son père sourit enfin, c'est lui qui dit tout le temps cela.

tebe bol'no? lui demande alors sa mère d'une voix chevrotante. (tu as mal ?)
net, mama, vse v poryadke. Produkty, kotoryye zastavlyayut moi volosy vypadat', rabotayut ochen' khorosho. (non maman, ça va. Les produits qui font tomber mes cheveux marchent très bien).
vse budet khorosho, moye sokrovishche, s'étrangle son père tandis qu'il tend la main au dessus du petit lit. (tout ira bien mon trésor)

La femme et l'homme tourne d'un même mouvement la PCA avant de se pencher pour embrasser le front de la bambine. Un silence torturé mange peu à peu tout l'espace de la pièce.

Ya lyublyu tebya. (je t'aime)

Son regard se porte une énième fois par delà la fenêtre, se perd dans les cieux nuageux mais calmes, dans le tapis de feuilles écarlates qui jonches les petits chemins de pierre qui serpentent d'une entrée à l'autre de l'hôpital, sur le visage des gens qui s'y baladent.

Puis doucement, ses yeux se ferment, la fatigue a raison de sa force, son corps est si lourd. La pulpe de ses doigts s'engourdie, bientôt même le touché des bras de ses parents qui pressent presque violemment ses membres se fait imperceptible. Le soleil perd de son éclat sous ses paupières qui pèsent, la pluie n'a plus de goût sur sa langue et la tristesse sans nom qui berce son âme cède sa place à une paix vide de sens. Drôle d'impression, comme si son corps tombait peu à peu en poussière, en cendres, qu'il s'échappait par la fenêtre pour l'emmener ailleurs. Ça ne lui fait pas mal, c'est étrange. Son cœur juvénile n'est plus triste ni en colère. Tout fait sens, le secret de ses parents...

Dans le vent l'enfant se laisse tomber. Et sans aucun cri de rage, elle laisse à la terre son corps et sous la voûte céleste s'endort.


Tekla
20152020
"blagodarya tebe ya zdes'.
Bez tebya my plachem.
Pokoysya s mirom, ty khorosho borolsya."

("Par toi je suis là.
Sans toi nous pleurons.
Repose en paix, tu as bien combattu.")

Au clair d'une lueur artificielle (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant