Chapitre 4

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À cet instant, je n'ai pas peur de ce qui risque de m'arriver. Je suis juste hors de moi. J'ai beau le frapper de toutes mes forces et le mordre, Gunnar ne bouge pas d'un pouce. Il poursuit son chemin imperturbable comme si je ne faisais rien. Même la tête à l'envers sur son épaule, j'arrive à capter certains regards amusés de guerriers face à cette scène et d'autres outrageusement horrifiés des quelques femmes qui font parties de l'équipage.

Puis il se stoppe net, ouvre une porte d'un simple coup de pied et me jette sans aucun ménagement sur le sol dur et froid de cette pièce exiguë. Sans penser à ma douleur, je me relève d'un bond et commence à cogner et frapper cette porte en hurlant à plein poumon. Porte qu'il a déjà refermée. Peu m'importe que mon comportement, en cet instant, ressemble ou non à celui d'une princesse, je continue de tambouriner telle une furie. Je ne serai pas dire combien de temps s'écoule avant que je finisse par m'effondrer ivre de fatigue. Il ne me faut alors que quelques secondes pour m'endormir à même le sol roulée en boule.

Lorsque je me réveille mon corps est complètement endolori de ma nuit par terre. Je finis par me relever et m'asseoir dans un des coins sombres de la pièce. Commence alors une longue attente, attente qui me rendrait folle si je n'avais pas mes souvenirs pour ne pas sombrer dans la démence. De tant à autre un viking ouvre la porte et dépose un bol de nourriture que je me refuse de goûter.

Je reste dans mon coin, tapie, les yeux clos visualisant les côtes accidentées de mon pays, la crête rocheuse au-dessus de mon village. Mon quotidien qui pourrait sembler insignifiant mais qui me manque terriblement et dans un dernier moment, . . . je le vois lui. Son beau visage, ses longs cheveux bruns tressés tel un guerrier, ses yeux gris clairs tel l'écume formée par notre mer déchaînée, . . . Pendant une fraction de seconde, j'arrive même à ressentir de nouveau la chaleur de son baiser sur mes lèvres. Par tous les dieux, faites qu'Ulrik soit sain et sauf.

Je sursaute quand la porte s'ouvre mais ne lève pas la tête pour autant. Je reste recroquevillée sur moi-même, à quoi bon, ce n'est que mon repas, que je refuserai de prendre de toute façon. Mais à ma plus grande surprise, la porte n'est pas claquée comme d'habitude mais refermée calmement. Je sursaute encore quand j'entends une personne soupirer dans la pièce.

_ Alors, il dit vrai ? Commence Thorsten d'une voix profonde et grave, ce même homme qui m'a enlevée.

Je ne réponds pas, . . . à quoi bon de toute façon.

_ Vous devez manger, il y a encore plusieurs jours de voyage et nul doute qu'ils seront éprouvant. De plus vous maigrissez à vue d'œil, vos jolies courbes ne seront bientôt plus que des lignes brisées, me dit-il calmement mais fermement.

Je le regarde interdite ne comprenant pas ce changement d'attitude à mon égard. Il faisait preuve de compassion alors qu'il avait fait égorger Inga et Haagon d'un simple regard sans que cela ne semble l'ébranler d'une quelconque manière que ce soit.

_ Donnez ma part aux gens de mon village, à ceux que vous avez arrachés à leurs terres, répondis-je d'un ton égal.

_ Que croyez-vous donc princesse ! Ils sont nourris. Notre but n'est pas de les affamer, rétorque-t-il vivement agacé par ma demande.

_ Alors quel est votre but ? Demandais-je en plantant mes yeux émeraudes dans le bleu océan des siens.

Nous restons quelques instants à nous observer. Pour la première fois nous ne nous défions pas. Nous nous observons, chacun essayant de comprendre l'autre.

_ Je n'ai pas à m'expliquer devant vous . . . après tout vous n'êtes qu'une captive, termine-t-il sur un ton cinglant.

Ça y est, me dis-je en mon fort intérieur, le revoilà, le barbare qui a tué ma maîtresse et son enfant sans le moindre remord. Mon regard se fait alors plus dur.


Quand Gunnar, mon plus vieil ami, m'a raconté ce qu'elle avait osé faire quand il lui a offert la chaleur d'une peau de bête. Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. Décidément cette Eivor a le tempérament de feu d'une vraie princesse viking. Elle en a le caractère, la hargne, le courage, la beauté qui pourrait rendre jalouse une déesse, le tout saupoudré de juste ce qu'il faut d'insolence.

Alors, . . . je me suis volontairement éloignée d'elle car, . . . car sa présence me dérange, me trouble. Et puis normalement, ce n'est pas elle que je venais chercher , . . . elle n'est qu'une sorte de lot de consolation.

Enfin, heureusement quand elle a giflé Gunnar, ce dernier a gardé son calme. Il l'a simplement mise dans une cabine afin que la donzelle impétueuse, comme il se plaît à l'appeler, se calme. Mais il a trouvé encore plus amusant de la mettre dans ma cabine. Et même si la situation peu être quelque peu gênante pour elle, il aurait pu faire bien pire . . .

Ne voulant pas être avec elle, j'ai dormi ailleurs et lui ai fait porter des repas, . . . mais apparemment elle refuse de se nourrir et reste prostrée dans un coin de la pièce. Au bout de deux jours de ce régime, je me décide à aller la voir, je dois la ramener vivante. Sinon tout cela n'aura servi à rien.

Quand j'ouvre la porte, je suis . . . en fait je ne sais pas comment je suis mais je supporte difficilement de voir cette femme isolée dans ce coin sombre. Et au lieu de me poser et de lui parler avec la déférence et la courtoisie du à son rang, . . . à sa caste, . . . je me comporte comme un sombre imbécile en lui parlant sur un ton dur et cinglant.

À peine ai-je commencé à lui parler que son regard sur moi change. Il se fait plus dur, . . . plus froid et sans raison apparente cela me froisse bien que cela ne le devrait. Puis nous restons silencieux tous les deux pendant quelques minutes. Et sans raison, elle se met soudain à trembler de façon totalement incontrôlée.

_ Eivor, vous êtes frigorifiée, repris-je doucement en m'avançant vers elle avec lenteur, ne supportant pas de voir une femme quelle qu'elle soit dans cet état.


Quand il s'approche de moi, son attitude semble avoir changée. Il est à la fois protecteur et bienveillant. J'avoue que face à cette facette de son caractère, je suis un peu perdue. Je plonge mes yeux dans son regard pour essayer de comprendre et ne ressens que de . . . l'apaisement.

Il me prend les mains avec douceurs et m'aide à me mettre debout. Voyant que je ne suis pas tout à fait stable sur mes jambes, à cause de la position assise que je garde depuis deux jours, il passe un de ses bras sous mes épaules pour me maintenir debout. J'essaie de rester digne et imperturbable face à un flot d'émotions qui me submerge et que je ne comprends pas moi-même.

_ Vous êtes gelée, si vous ne voulez pas attraper la fièvre, il faut vous réchauffez et vite, poursuit-il toujours calme et attentionné, ce qui augmente mon trouble face à cet homme que je n'arrive pas à cerner.

Il me guide et me fait asseoir sur la paillasse qui sert de lit sur ce bateau. Puis il commence à enlever ses vêtements. Je n'ose alors pas lever les yeux sur lui. Pas que je n'ai jamais vu d'hommes, ma condition d'esclave m'a fait préparer et donner le bain à des hommes de mon village, mais lui m'intimide pour je ne sais quelle raison.

Je sursaute quand il dénoue les attaches de ma robe en laine, la plus chaude que je possède.

_ Ne vous inquiétez pas, vous garderez votre chemise comme moi. Puis nous nous mettrons au lit. Vous devez vous réchauffez, dormir et manger, termine-t-il avec une douceur qui m'est encore étrangère de sa part.

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